On va faire comme si on ne savait rien, comme si, par exemple, on n’avait pas vu Maurice G. Dantec sur les plateaux de télévision lors de la guerre contre l’Irak. On va justement se demander, en lisant Périphériques, recueils de textes courts -fictions, articles, communications-, ce qui le rend si désirable sur ces plateaux. Et aussi pourquoi, depuis les Racines du Mal, il est à ce point vendeur.
Commençons par les nouvelles. Il y a là ce qu’on nomme d’ordinaire science-fiction et récit noir. Rien d’honteux, rien de reluisant non plus, ou qui échappe au tout-venant. Dans Quand clignote la mort électrique (1996), les stéréotypes font l’essentiel du récit. La banlieue/ses kabyles/leurs calibres, et un narrateur qui parle comme son dealer de héros : dès l’incipit, on est en territoire connu (« L’enfer, ça doit sûrement ressembler à une putain de zone commerciale »), que balisera encore la litanie des images -p.250 la douleur est un « mauvais shoot injecté direct dans le cerveau », p.251 la peur et la souffrance sont « injectées en autant de shoots à répétition », puis revoilà p.256 « une seringue de douleur pure ».
Tout cela ne suffit sans doute pas à la notoriété : il y a donc autre chose. Voyons du côté de la théorie littéraire. Dans un long entretien, l’auteur prévient les âmes tièdes : ses vues vont en froisser plus d’un. Qu’à cela ne tienne, il descend dans l’arène : la fiction a pour but de « provoquer une instabilité, un dé-rangement profond de notre rapport au réel », bref, allons-y franco, de « briser les routines de la perception ». Zut alors, les professeurs disent un peu la même chose dans leurs amphithéâtres : c’est sans doute qu’ils ont lu Dantec, et qu’ils prennent de gros risques. Ne nous décourageons d’ailleurs pas, l’auteur a encore dans sa besace une « approche quantique » : il s’agit de « simuler une matrice expérimentale à l’intérieur de laquelle le réseau narratif tracé par les personnages est mû par leur propre énergie et non par ce que vous aviez prévu ». Tiens, ça rappelle Zola, qui se voyait lui aussi comme un homme de science appliquant les méthodes empiristes au roman. En son temps, il y avait déjà des âmes tièdes : ils objectèrent que l’écrivain intervenait quand même un petit peu dans l’expérience.
L’enquête s’achève : reste le terrain proprement politique. C’est là que Dantec dit mener, à la tête d’un bataillon composite, (Bloy, les situationnistes, Nietzsche, Deleuze, les prophètes et les sciences du cerveau), le plus difficile des combats. Il se heurte à bien des résistances, mais soumet finalement les « hitlero-talibans » sur Internet -« A nous de leur montrer quelle ligne relie Pearl Harbour à Hiroshima »- avant de chanter la victoire dans Tribune juive : « vois maintenant la statue de la liberté éclairant le monde devenir enfin l’icône dévastée de la conscience en scission avec le monde, et avec elle-même »…
Trêve de plaisanteries : il est difficile de sourire à ce salmigondis comme à la prose d’un cancre, ou d’excuser notre homme pour cause de stupéfiants chimiques (dont il vante les bienfaits). Car l’Apocalypse ici rêvée n’est que le quotidien de ceux sur lesquels pleuvent les bombes ; et la pire imposture de Dantec, c’est justement de se croire outsider, lui qui, du bon côté du manche, se contente d’accompagner le monde comme il va. Retour à la case départ : les plateaux de télévision lui sont, et on comprend mieux pourquoi, grands ouverts.
Périphériques
Maurice G. Dantec
Flammarion
281 pages, 19 €
* Vient de paraître du même auteur Villa Vortex (Gallimard, 832 pages, 24 €)
Domaine français Hurle avec les loups
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Gilles Magniont
Peu de littérature et pas mal de prédication dans son recueil de textes "Périphériques" : Dantec l’insoumis apporte sa tonitruante contribution aux bombardements.
Un livre
Hurle avec les loups
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°44
, mai 2003.