Avec deux vitrines sises à un angle du majestueux Carré Curial à Chambéry, les éditions Comp’act prennent des airs d’Actes Sud à Arles. Les flâneurs peuvent s’arrêter à l’ombre des arcades pour lire les articles parus sur un auteur de la maison, voir la collection complète de la revue La Polygraphe et acheter des livres dans les locaux où officient Annette Colliot-Thélène, la compagne d’Henri Poncet et Emmanuelle Mellier l’infographiste. Le mari de cette dernière, Jean-Luc, fait marcher l’imprimerie : « c’est un des meilleurs conducteurs offset. Il a un réel sens des couleurs » louange l’éditeur dont le bureau, à quelques pas, croule sous les courriers et les manuscrits.
L’homme qui nous reçoit est connu des bibliothécaires de la région. Infatigable militant de la littérature, il est souvent invité ici et là pour parler de son métier, de l’importance qu’il accorde au livre. Avec lui, les organisateurs sont rassurés : il n’est pas même besoin de poser une question pour que déjà il y réponde. Sa parole, ensuite, semble se nourrir d’elle-même, rebondissant sans cesse d’une idée qu’elle vient de faire naître à une autre. Il faut lui mettre la bride, le rappeler à l’ordre pour ralentir le flot des digressions.
Né à Nantua, en 1937, Henri Poncet grandit dans une famille de paysans de l’Ain. Envoyé en 6e chez les jésuites, il y découvre la littérature : « je lisais comme un autodidacte. Je ressentais violemment le trouble sexuel d’être enfermé sans aucune fille parmi nous. C’était un sentiment de manque profond ». La révolte contre l’école et la religion lui rend d’autant plus nécessaire la fréquentation des philosophes libératoires (Marx, Engels, Feuerbach) et celle des écrivains (Sartre, Claudel, Rimbaud). Plus tard, ce sera Tel Quel, Foucault, etc.
Difficile de saisir combien est grande la distance qui sépare l’enfant paysan entrant au collège de celui qui en sortira pour, avoue-t-il, « ne rien faire d’autres de toute ma vie que travailler dans l’édition ou la presse. »
S’ensuit alors une de ces énumérations en accéléré dont il a le secret : « j’ai fait des encyclopédies, à Barcelone, à Lausanne, avec l’ONU, encyclopédie du cinéma, encyclopédie de la philatélie, la collection Les Grands Thèmes publiée par Robert Laffont, on était une dizaine, payés en francs suisses, on a créé Actuels une revue qui a publié de nouveaux auteurs, on a travaillé sur le numérique au tout début du numérique, on recevait les manuscrits par avion… » On met vite le frein à main devant la déferlante, d’autant que le bonhomme commence à évoquer son ami Roger Vailland, qu’il a été maire dans l’Ain, que la vie à Genève était étonnante. À ce rythme-là, même un magnétophone sophistiqué aurait du mal à suivre. Faisons alors quelques arrêts sur image : après les études, Henri Poncet propose ses services par petite annonce. Il a une culture très éclectique, il pourrait donner des cours particuliers aux enfants des diplomates de l’ONU. Un homme répond à...
Éditeur Comp’act mais prolifique
septembre 2003 | Le Matricule des Anges n°46
| par
Thierry Guichard
Éditeur de textes atypiques, Henri Poncet est un touche-à-tout enthousiaste : poésie, prose, théâtre, essais, traductions, philosophie et art nourrissent un catalogue bâti à force d’abnégation et d’énergie.
Un éditeur