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Si faire entendre une voix venue d’ailleurs/ Inaccessible au temps et à l’usure/ Se révèle non moins illusoire qu’un rêve/ Il y a pourtant en elle quelque chose qui dure/ Même après que s’en est perdu le sens/ Son timbre vibre encore au loin comme un orage/ Dont on ne sait s’il se rapproche ou s’en va. » En concluant ainsi les Poèmes de Samuel Wood, parus en 1988, le poète Louis-René des Forêts, qui avait si souvent recours à la prose et à l’annotation, convoque l’écriture poétique comme le moyen adéquat pour témoigner d’une voix qui résonne, qui traverse et rejoint à la fois un espace infini. Voix, timbre, durée : le vocabulaire de la musique est convié pour dire la puissance, même incertaine, de la parole poétique. C’est aussi sa faiblesse que souligne le poète, comme si faire entendre une voix, qu’elle soit ou non illusion, qu’elle vienne ou pas d’un rêve, était pourtant le geste idéal pour le partage d’une sensation, et mieux encore : la possibilité de donner au langage toute sa profondeur devant la communauté humaine.
Ce rapport de la poésie à la musique ne cesse d’être vécu comme une confrontation, voire une contradiction, depuis plusieurs décennies. En témoigne l’écriture poétique elle-même, que nous limiterons ici à la France. Et pourtant la circonscrire à notre propre territoire nous permet d’en souligner justement l’originalité. Depuis que l’écriture poétique, dans sa remise en cause des formes avec Rimbaud, Apollinaire ou Mallarmé, a évolué dans ses formes, la poésie française s’est progressivement éloignée, ou défié, de la notion de chant et de lyrisme qui sont souvent les caractéristiques premières de définition de la poésie. De nombreux poètes étrangers sont souvent fascinés par la poésie française contemporaine tout en conservant dans leur propre écriture un lien au chant.
La distinction est loin d’être si nette. Disons que la musicalité n’est plus une des conditions déterminantes de l’écriture d’un poème. Que le poète lui a substitué les notions de rythme, de mouvement, qui à leur tour débouchent sur celles de formalisme ou de visualisations. Tout lyrisme devient dès lors le « goût » d’une écriture révolue. Après la génération Claudel, Saint-John Perse ou Supervielle, le questionnement mené par certaines d’avant-garde depuis l’après-guerre a été (on pense à Tel Quel, Txt et d’autres) de n’envisager la poésie que comme texte, qu’il puisse être destiné à l’oralité ou non, et de ne considérer une musicalité de la poésie que comme rythmique visuelle que vient parfois suppléer une lecture à voix haute qui elle ne se veut pas musicale.
Garder ce lien avec la musicalité de la langue, c’est justement accepter, dans l’héritage à la fois mallarméen et rimbaldien (si !) que quelque chose dure au-delà du sens, au-delà de sa perte, comme l’a écrit Des Forêts. Mais aussi, de faire confiance à la musicalité si aiguë et particulière de la langue française. La perte, en grande partie nécessaire, de l’alexandrin comme lieu...