Les débuts d’André Martel n’ont rien d’exemplaire ou de glorieux. André Martel était même assez mal engagé lorsqu’en 1925 il fut admis à participer aux travaux de l’Académie du Var dont on devine les révolutionnaires audaces. Curieux parcours, en effet, que celui de ce métromane, sympathique au demeurant, dont la plume sans nerf ni grandeur va se transformer sur le tard en un calame neuf, fort original pour tout dire, qui l’autorise auprès de créateurs tels que Gaston Chaissac ou Pierre Bettencourt.
Fils d’un agent de police et d’une mère au foyer, André Martel, né le 13 décembre 1893 à Toulon, est tout d’abord promis au cheminement banal du pédagogue. Après avoir connu les affres de la Première Guerre mondiale, il est instituteur puis professeur de lettres. C’est durant cette première période de sa vie qu’il connaît l’honneur suprême d’être nommé secrétaire de séances de l’Académie des Belles-Lettres du Var. Il avait débuté dix ans plus tôt une carrière de poète local bien classique avec les Poèmes d’un poilu, poèmes des tranchées et des cantonnements (Reims, Jean Matot, 1916) auxquels succéderont la Chanson du Verbe (Jouve, 1927), la Chanson de la Chair (Toulon, L’Olivier, 1929) qui peu à peu se dégagent de la banalité. Le grand œuvre du « Martelandré » était-il déjà en gestation ?
Il est certain qu’un malaise l’avait étreint puisqu’en 1930 son unique roman au sens traditionnel autobiographique, La Fille de Monsieur Cougourdet (Toulon, F. Carasson), manifestait déjà les besoins d’évaporation du bonhomme et ses effervescentes envies. Simplement, il attendra la soixantaine pour changer d’existence et quitter Toulon, sa famille et sa peau de plumitif local pour conquérir Paris depuis son logement de Vincennes. Une ambition si tardive est assez rare. Comment l’expliquer autrement que par la force d’un caractère ?
En 1949, Martel avait commis le « Poèteupote », le premier poème du nouvel André Martel, un texte quasi programmatique rédigé sur une « blange » (page blanche) avec un « yoncrai » (crayon). Deux ans plus tard, un opuscule intitulé Le Paralloïdre des Çorfes (Debresse, 1951) verra le jour et signalera aux yeux incrédules de l’humanité baba les capacités innovantes de ce bonhomme inattendu. C’est la première manifestation publique de la nouvelle langue qu’il vient de s’inventer, le « Paralloïdre ». Remarqué par le dénicheur d’étrangetés Jean Dubuffet qui fréquente des sentiers linguistiques parallèles et en fait son secrétaire, il est introduit dans les milieux littéraires. Bien entendu, il est vite adopté par le collège de ’Pataphysique, lieu de rassemblement réputé des natures exotiques.
Tout à son affaire, le Paralloïdre qui peut enrichir la liste des langues nouvelles après le « Volapük » de Johann Schleyer (1880) et l’« Espéranto » du Polonais Ludwik Zamenhof (1887), Martel, autodéclaré « Papafol du Paralloïdre » publie plusieurs ouvrages de son cru dont les plus importants sont La Djiginne du Théophélès, Le Mirivis des Naturgies en collaboration avec Jean Dubuffet puis Abstaral et Gorgomar ainsi qu’un essai en français La Fontaine n’est pas un imbécile (1967). Ce que l’on n’était pas sans savoir.
Mais qu’est-ce que le Paralloïdre ? Pour faire simple, disons que c’est un jargon basé sur la combinaison jubilatoire de néologismes et de manipulations morphologiques du langage. Aux alentours de 1949, Martelandré avait entrevu comme par illumination les potentialités du lexique et de la syntaxe, il se lance : « Vous pensez, quand j’ai vu ça, si je me suis jeté là-dessus à cœur perdu ! j’ai dit à ma sensibilité « Vas-y ma Folle ! » Et elle y est allé fort, tant qu’elle a pu. Et c’est elle qui a forgé ses mots selon ses impulsions, soudant les tronçons à chaud, à l’autogène, après les avoir fait tinter, harmonisant leurs éléments, appelant les images en auréoles autour des diphtongues par les infras-sens (…) sans se soucier des décrets académiques et des circulaires du Minuistre de l’Educrassion Nazionale. On m’a traité de syntaxassin ». Voilà pour l’explication en langage vernaculaire. Et pour le bout d’essai, voici du paralloïdre authentique : « Le paralloïdre nèpasun macabreur. Biénocotre i dénécrope en jésulitter un bocalazare franlatigal ». Ou encore : « Orce, le Gorgomar ila/ Un settier de tortentacules/ Quissontoci des braboas/ A ventouserie empustule./ Ila durbec crocacrotule,/ Du noirempoch por blacoustat/ Du salivapoise injectuel./ E, zidente aux zomadaproia/ Ila des zeuils en pharocules (bis). »
Brigitte Bardelot, sa biographe, expliquait « Être poète et écrire en jargon, c’est se condamner deux fois à l’obscurité. ». Sans doute André Martel a-t-il prouvé deux fois le contraire. Il a néanmoins disparu le 18 juin 1976 à Cuers (Var). L’Académie française ne s’en est pas émue. Je vous le demande : à qui se fier ?
* Au sujet d’André Martel, on peut consulter le livre de Brigitte Bardelot, André Martel, du jargon comme l’un des beaux-arts. Rom-éditions (19, boulevard Carabacel 06000 Nice), 1998, 112 p., 24,39 €, ainsi que le site www.rom.fr/martel
Égarés, oubliés Pas fou le Papafol !
mars 2004 | Le Matricule des Anges n°51
| par
Éric Dussert
Inventeur d’un langage truculent, le folichon André Martel était parti pour devenir poète d’envergure provinciale. Malin, il est entré dans la confrérie des épatants zozos.
Un auteur
Pas fou le Papafol !
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°51
, mars 2004.