Un court récit autobiographique d’Agota Kristof, une monographie sur Pierre Michon, des nouvelles drôles et cruelles de Pauline Melville, en attendant les microgrammes de l’écriture miniature de Robert Walser* prévus fin octobre : Marlyse Pietri évoque sa rentrée avec gourmandise, ce qui est naturel pour la compagne d’un chroniqueur culinaire. Cette femme discrète et attachante veille, depuis trente ans, sur les destinées de la maison Zoé, l’un des quatre plus importants éditeurs suisses romands avec L’Âge d’homme, L’Aire et Bernard Campiche. Éloge de la patience, de la passion, et surtout de l’obstination. « Cela faisait onze ans que j’attendais quelque chose d’Agota », sourit-elle, heureuse que L’Analphabète de sa compatriote d’origine hongroise ait déjà rencontré 7 000 lecteurs, dont 80% en France.
Le catalogue Zoé est fourni le fonds représente 40% de son chiffre d’affaires et révèle un formidable travail de passeur entre la Suisse romande et la Suisse alémanique. D’hier (les années d’utopie) à aujourd’hui (l’ouverture aux littératures émergentes en partie africaines), Zoé arpente de nombreux territoires de langue, au service de la fiction, l’essai, le récit de vie. Éditrice de Nicolas Bouvier et Robert Walser, Jean-Marc Lovay et Michel Layaz, Marlyse Pietri aiment les conteurs. Elle publie aussi Ludwig Hohl, Markus Werner, Gerhard Meier, Oscar Peer, Bessie Head… Les années 90 ont marqué un coup d’accélérateur dans le développement de la maison : Zoé accède enfin au marché français grâce au diffuseur Harmonia Mundi (1992) ; deux ans plus tard, elle lance son élégante collection de poche « MiniZoé ».
Née en 1940 à Lausanne, Marlyse Pietri est une vraie Suissesse. Elle a beaucoup voyagé : l’Europe, la Californie, le Mexique, autant pour apprendre que pour fuir cette famille bourgeoise protestante, très religieuse, issue de la communauté darbyste. « Je sais ce qu’est porter un voile ». De retour en Helvétie, elle commence ses études à 21 ans : école d’interprète puis licence d’histoire. À l’Université de Genève où elle enseigne, elle vit avec enthousiasme les années 68, rêve de violence et d’égalité, rejoint un temps le PC, préfère le Che à Trotsky. « J’aurais été de la chair à canon dans n’importe quelle vraie révolution », dit celle qui dévorait Thomas Mann, Gracq et Camus. Rencontre avec une éditrice, étonnamment debout, curieuse et volontaire, pour qui « la littérature vivante est toujours à naître ».
Dans quelles conditions se sont créées les éditions Zoé ?
J’ai quitté l’université, un endroit trop poussiéreux, pour créer un atelier du livre. Il s’agissait de maîtriser l’ensemble de la chaîne, du choix du texte à sa fabrication, du brochage à sa diffusion. Je n’avais aucune expérience, hormis cette constatation : à la fac, je m’occupais toujours des tracts, de ronéotyper des choses… J’ai acheté du matériel, dont une composeuse IBM aux enchères. L’atelier était situé dans un garage de 15 m2 qu’on...
Éditeur Zoé, ici et ailleurs
octobre 2004 | Le Matricule des Anges n°57
| par
Philippe Savary
Historienne de formation, issue de la mouvance contestataire, la Genevoise Marlyse Pietri parie sur la durée pour construire sa maison. Une éditrice saute-frontières, à la recherche d’auteurs français à défendre.
Un éditeur