Homme de plusieurs vies, Alain Jaubert se souvient avec Val Paradis de celle qui fut peut-être la plus exaltante : son expérience de marin, autour de ses vingt ans. Ce premier roman, intense, charnel, polychrome, d’un jeune écrivain de 64 ans, est porté par une écriture aux incessantes variations rythmiques : le lyrisme des sensations côtoie l’expression la plus économe des sentiments. Antoine, le personnage et narrateur, pilotin sur un cargo, fait une brève escale dans le port mythique de Valparaiso. Avide de tout connaître et de tout éprouver, il va repousser au plus les limites de sa propre résistance.
Rencontre avec l’auteur, amoureux des images et façonneur d’histoires.
Vous êtes connu comme un spécialiste de l’image, avec Palettes, cette série de films documentaires sur la peinture que vous avez réalisée. Dans le livre éponyme paru chez Gallimard, vous écrivez : « Les tableaux sont faits de mots. Tout montage d’images n’est que montage de textes. » Vous percevez-vous comme un homme d’images ou un homme de mots ?
Je récuse le terme de spécialiste. Peut-être le suis-je un peu aujourd’hui à force de m’être frotté à des dizaines de tableaux, mais au départ ce n’était pas du tout mon parcours. En l’espace de quinze ans j’ai fait un parcours de cinéaste qui m’a emmené au contact des conservateurs, des historiens d’art, des techniciens de l’art, restaurateurs, scientifiques… J’ai appris ainsi beaucoup de choses sur l’art. Un savoir qui n’est pas du tout universitaire, qui est même lacunaire, mais j’ai fait moi-même quelques découvertes au cours de mes recherches et je commence à savoir pas mal de choses… Je suis un amateur, disons un connaisseur, comme on dit dans les pays anglo-saxons… Un peu comme ce que disait Barthes des « amateurs de musique »… La peinture, j’avais déjà appris à la regarder et à l’aimer. Et là, j’ai appris à l’analyser…
Pour vous, la peinture est affaire de mots…
J’ai remarqué qu’il est très difficile de mémoriser des images, des couleurs, un tableau, des scènes qui sont peintes, ou même représentées cinématographiquement sans les verbaliser. Une part importante de l’analyse des tableaux, c’est la description. Décrire un tableau est difficile : il faut être précis, trouver le mot juste. C’est lui qui va permettre la visualisation. Désigner tel ou tel objet précis dans un tableau peut donner une indication sur les sens explicites ou implicites du tableau. Je prends souvent l’exemple de La Flagellation de Piero della Francesca : vous pouvez dire qu’au fond de ce tableau, au-dessus de la tête du jeune homme, il y a un arbre. Mais si on regarde de plus près, on voit que ce sont des feuilles allongées, assez lancéolées, peut-être celles d’un laurier. Si vous dites que c’est un laurier, vous convoquez quelque chose qui relève de l’Antiquité et de la tradition religieuse : le personnage qui est au centre est, en quelque sorte, couronné de laurier. Donc, vous apportez du sens au...
Entretiens Le jeune homme et la mer
Alain Jaubert a été enseignant, militant dans plusieurs mouvements de libération nés après 1968, journaliste scientifique, chroniqueur musical, réalisateur de films sur la peinture… Avec « Val Paradis », il débute avec brio une carrière de romancier.