Depuis qu’en 1890 Eugène Grasset a dessiné certaine semeuse soufflant une fleur de pissenlit, les Français savent que la Librairie Larousse diffuse le savoir à tous vents. Ils savent un peu moins qui est l’auteur de cette sylphide au frais minois et à la notoriété sans pareille. Un autre personnage qui fut sinon le disciple de Grasset, du moins son successeur et son ami, George Auriol, aura été lui aussi un éminent représentant de l’art nouveau et un plaisant bonhomme.
Né Jean-Georges Huyot à Beauvais, le 26 avril 1863, George Auriol aura été l’un des deux typographes majeurs des années 1880-1930. Avec Eugène Grasset qu’il a rencontré en 1883 au Chat noir, il aura contribué à renouveler l’esthétique des publications imprimées. Tous les deux étaient de grands amateurs de l’art japonais et la plus belle part des vignettes, bandeaux, culs-de-lampe et frontispice qu’Auriol a placés dans les publications qu’il a illustrées appartiennent à ce goût alors fort en vogue. Ses titres ornés du Magasin français, de la Revue Encyclopédique témoignent en outre de la variété de ses capacités. Il suffit de dénicher un exemplaire de L’Estampe et l’Affiche, du Journal des Artistes ou des Peintres graveurs pour constater qu’il a un art et plus que ça : une patte. Entre mille, on sait quelles sont les œuvres d’Auriol. Pour sa malchance, menues impressions, bilboquets et travaux d’édition n’ont pas cours sur le grand marché de l’art et sa réputation en souffre. C’est fort injuste car sa bibliographie est respectable.
Chansonnier, poète cocasse de très belle venue, Auriol aura eu pour la typographie un talent tout particulier et il s’est illustré en dessinant pour la fonderie de caractères de Georges Peignot des polices telles que le « Labeur Auriol », le « Champlevé », le « Robur » ou cette « Française légère » dont le nom plein de délicatesse évoque l’image d’une jeune élégante montée sur vélocipède. Les années folles, les années gaies.
Il émane des trois rares volumes du Livre des marques, monogrammes, cachets et ex-libris composés par George Auriol (1901-1924) un charme de ces années-là, irréfutable, indéniable, imparable. Et si l’on reconnaît ses élégantes ornementations à l’œil nu, si ses papiers de garde, ses fers de reliure sont identifiables aisément, on peut dire sans exagérer que nous connaissons tous George Auriol sans l’avoir jamais lu. Ses contes, lus et bien lus pourtant, pourraient provoquer les mêmes commentaires puisque certains d’entre eux intègrent à la place de certains mots des vignettes représentant les objets en question. Une fantaisie de typographe souriant. Imaginez ce que donne la première nuit à l’hôtel de deux jeunes mariés d’outre-Manche… Ce texte est issu du recueil J’ai tué ma bonne (1895) dont le titre ne sera pas mal interprété : bretteur et discutailleur, très spontané selon les mémorialistes de son temps, Auriol ne semble pas avoir été un violent.
Réimprimés sur un beau papier italien, le « Gardapat », les humoristiques Quarante-deux contes de George Auriol, mêlés de typographies, avec des notes de François Caradec s’intègrent merveilleusement à la collection « Type-Type », fondée il y a quelques années par Edmond Thomas pour mettre en valeur des œuvres dans la typographie qui leur convient. Edmond Thomas lequel partage avec Caradec le goût des aurioleries (ils en sont d’ailleurs les principaux collectionneurs) donne avec ce nouvel opus un livre qui répond parfaitement à ce projet. Et François Caradec qui fut typo lui aussi apporte ses innombrables lumières sur cet artiste du livre polyvalent disparu le 2 février 1938.
Enrichi de nombreuses illustrations en couleur, on y découvre un Auriol chansonnier farce, enthousiaste secrétaire de rédaction du Chat noir, au final un être monté sur ressort qui évoluait parmi les esprits les plus pétillants de son époque. Auprès du détonant Alphonse Allais, Auriol fit lui aussi des merveilles avec des phrases. Il publia du reste autant que son prestigieux comparse, sans parvenir toutefois à sa fameuse « rigueur scientifique ». Ses contes humoristiques évoquent les récits d’Allais bien sûr, rappellent encore ceux de Gabriel de Lautrec ou de Raphaël Landoy et participent d’une ambiance folle, celle des cabarets, des amitiés farceuses et de la presse légère dont on n’a plus aujourd’hui l’idée. Dans les contes d’Auriol, il est question de soiffards anglo-saxons, cousins du Captain Cap, le fameux gaillard de fiction, irremplaçable, dont on apprend ici qu’Auriol est un peu l’inventeur. Il est question aussi de la faute à pas-de-chance, de polissonneries, de méprises idiotes telles ces deux cents gravures de Félicien Rops repassées comme des mouchoirs. Les avanies variées auxquelles nous voue la vie moderne en somme, telles que les avaient bien senties le créateur du fameux « Poème fugace « » J’ai mis le Surplus de mon Trop/ Dans le Néanmoins de ton Pire ; Avec des airs de maëstro,/ J’ai mis le Surplus de mon Trop./ Un cheval passait au grand trot,/ Nous étions encor sous l’Empire…/ J’ai mis le Surplus de mon Trop,/ Dans le Néanmoins de ton Pire. »
quarante-deux contes par George Auriol
Plein Chant, 247 pages, 25 €
EXTRAIT
« Quand la tomate, au soir, lasse d’avoir rougi./ Fuit le ruisseau jaseur que fréquente l’ablette,/ J’aime écrire des mots commençant par des J/ Sur l’ivoire bénin de mes humbles tablettes. »
George Auriol