En 1977, année punk, une jeune femme, Annie Le Brun, noire brindille de jais tranchant jetait une bombe à la face puritaine des néoféministes, Lâchez tout. Auteure d’ouvrages poétiques, réédités aujourd’hui, elle sera alors remarquée par Jean-Jacques Pauvert, qui lui demandera une préface à l’édition des œuvres complètes de Sade, puis à celles de Raymond Roussel. Fidèle à ses amours, la poésie et l’insoumission, elle continue de porter, envers et contre tous, un regard implacable sur notre époque. Et à écrire, « comme on force une porte ».
Comment êtes-vous allée vers la poésie ?
Très tôt, vers 17 ans, j’ai su qu’il m’était impossible d’entrer dans ce monde-là. « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans », et c’est bien ce que la société ne vous pardonne pas. À 20 ans, j’étais dans un tel état de refus que je ne pouvais envisager de choisir quelque métier que ce soit ni de m’insérer d’une façon ou d’une autre. Je lisais énormément, car j’avais l’impression que certains livres parlaient de ce qui me préoccupait, même si ce n’étaient pas les livres qui se publiaient alors.
Vous ne vous sentiez pas de votre temps ?
Je n’ai jamais eu le sentiment d’appartenir à une génération plus qu’à une autre. Mais les années 60 étaient marquées par un sérieux théorique que je supportais mal. Il s’ensuivait un refus du monde sensible, tant dans le domaine philosophique avec le structuralisme que dans le domaine politique où la radicalité des situationnistes avait tout pour m’attirer. Seulement, ç’eût été accepter l’impasse aberrante qu’ils faisaient sur l’inconscient, et du même coup oblitérer la part la plus agitante de ce que nous sommes, en ignorant délibérément de quelle façon le rêve, le désir ou le langage nous agissent. Aussi, lorsque je suis tombée sur les livres surréalistes, j’ai vu qu’il y avait ou avait eu des personnes qui abordaient ces questions essentielles pour moi.
Quelle est votre définition du surréalisme ?
Je ne crois pas qu’il soit possible de donner une définition acceptable de ce mouvement qui aura été à l’origine des expressions les plus diverses. C’est plus une attitude devant la vie qu’une avant-garde comme on s’applique à le faire croire pour en neutraliser les enjeux qui n’ont rien d’esthétique. C’est une façon d’être au monde qui aura permis à la plupart de ceux qui s’y sont risqués de découvrir l’étrangeté de ce qui leur était le plus singulier. Ainsi quand, dans la liste du Premier Manifeste du surréalisme, Breton déclare que « Sade est surréaliste dans le sadisme », au départ, j’ai pris cela pour une facilité ou une boutade, et puis, à la réflexion, j’y ai vu une clé du surréalisme, qui aura donné à chacun la possibilité de trouver dans sa singularité, tout comme Sade, ce qui le sépare des autres mais aussi ce qui le relie à eux. Si les féministes, déchaînées contre un surréalisme qui exalte l’amour, avaient été moins stupides, elles se seraient rendues compte que plus...
Entretiens Cette révolte appelée poésie
Annie Le Brun est un esprit insoumis et radical. La parution de ses poèmes, enfin réunis, et la réédition en poche de son essai Du trop de réalité nous immerge dans un univers peuplé d’images à l’érotisme noir et de pensées réfractaires à tout compromis.