Après avoir servi au sein des escadrons de la mort contre les « terroristes », l’ancien mercenaire se trouva fort dépourvu quand le temps de la paix fut venu au Salvador. Qu’à cela ne tienne, les exécuteurs des basses œuvres ne pointent jamais longtemps au chômage. Celui qui n’était qu’une vague et fugitive silhouette dans le précédent livre d’Horacio Castellanos Moya (La Mort d’Olga Maria, Les Allusifs, 2004) a pris consistance : « Dans la caserne San Carlos, après des tests et des examens, quand l’officier a constaté que je mesurais un mètre quatre-vingt-dix et pesais quatre-vingt-quinze kilos, il a donné l’ordre de m’affecter au bataillon Acahuapa. » Juan Alberto Garcia mérite bien son surnom de Robocop, et ce n’est pas le moindre mérite de l’auteur que de parvenir à se glisser dans la peau et surtout dans les mots d’un être pour qui l’existence se résume à tuer et ne pas être tué. À peine démobilisée, la machine à flinguer entreprend à nouveau d’éparpiller du subversif sous les ordres d’un certain Linares : « Les gars des services secrets avaient découvert que les terroristes n’avaient pas démantelé toutes leurs structures de commandos urbains, qu’ils en conservaient deux en sommeil, croyant qu’ils pouvaient nous tromper ; c’est pourquoi le haut commandement avait autorisé la création d’une unité dont la mission était de détecter et de détruire ces cellules clandestines. » Même au tarif paramilitaire, le crime ne paye plus que médiocrement : histoire de mettre un peu de beurre dans la pupusa (le plat national), notre Terminator local (Terminador ?) braque une banque, dévalise le vieillard et terrorise l’orpheline en laissant chaque fois une traînée sanglante derrière lui. Mais les règles du jeu ont changé depuis le bon vieux temps des missions spéciales. Trahi par ses anciens camarades de combat, qui poursuivent d’autres buts et servent des intérêts fort éloignés de la lutte politique, l’ancien chasseur doit un temps lâcher la proie pour l’ombre d’une lointaine jungle il apparaît toutefois qu’en Amérique centrale comme ailleurs, un méfait n’est jamais perdu : la conclusion de ses aventures brille par un franc cynisme.
À l’occasion de ce nouveau roman, Horacio Castellanos Moya a lui aussi changé son fusil d’épaule. Loin des grandes orgues du Dégoût (Les Allusifs, 2003), torrent d’imprécations à l’endroit de tout ce qui vit, respire, marche, court, rampe ou nage dans « un pays où personne ne lit de la littérature, un pays où le peu de gens qui lisent ne liraient jamais un livre de littérature », autrement dit le Salvador, loin de l’étourdissant babillage d’une pipelette nommée Laura, qui éclairait bien malgré elle les coulisses d’un régime corrompu jusqu’à l’âme, dans La Mort d’Olga Maria, l’auteur livre avec L’Homme en arme une impeccable parabole, au sens géométrique du terme, dans un style aussi efficace et aussi froid qu’un procès-verbal. Aussi froid que la mort dans son pays.
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Entretiens De guerre sale
juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65
| par
Eric Naulleau
Troisième monologue traduit en français d’Horacio Castellanos Moya, chroniqueur inspiré des années sombres du Salvador. Rencontre avec un auteur qui entend des voix.
Un auteur