Grand amateur de jeux de langage et de batraciens, Jean-Pierre Brisset (1837-1919) écrivit à ses heures perdues de surveillant de gare une œuvre parfaitement farfelue. Le Brisset sans peine de Gilles Rosière est une anthologie qui réunit textes et conférences de celui qui fut sacré « Prince des penseurs » à la suite d’un canular de Jules Romain et ses amis.
On y trouve notamment, extraite de la Grammaire logique, la thèse la plus audacieuse de Brisset, qui fait dériver les langues indo-européennes du chant des grenouilles. Avec l’apparence du plus grand sérieux, Brisset entend démontrer qu’un grand nombre d’expressions n’ont pas une étymologie latine mais batracienne. Ce qui s’explique par des causes naturelles : notre langage conserve les traces de notre ancien état aquatique, où nous avions « l’eau au séant » l’océan premier étant un marécage, une soupe où nos ancêtres « en sauce y étaient, y étaient en société ». Par ailleurs, si nous nous figurions l’usage de la parole comme noble privilège de notre humanité, nous apprendrons à nos dépens que ce fut le sexe qui nous arracha les premières voix. L’homme naquit au langage articulé et donc à la pensée quand il découvrit son sexe, source intarissable d’étonnement philosophique : « Sais que c’est ? (…) Ce exe, sais que ce ? Ce qui devint : sexe ».
Que pareille théorie du langage ait été refusée à un concours de l’Académie ne nous surprendra pas. Ni, a contrario, que cette même théorie ait séduit les maîtres du surréalisme et les éminences grises de la pataphysique.
Le Brisset sans peine de Jean-Pierre Brisset
(textes choisis et adaptés par Gilles Rosière)
Ginkgo Éditeur, 120 pages, 9 €
Essais La mare aux mots
juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65
| par
Gilles Magniont
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La mare aux mots
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°65
, juillet 2005.