Il faut l’appeler Jibé Pontalis et c’est ici un monsieur dont les nouvelles réceptionnistes ne connaissent pourtant pas encore le numéro de bureau. Sur le marbre noir du hall d’accueil de Gallimard, leurs talons aiguilles font des staccatos charmants lorsqu’il s’agit de transporter ailleurs les manuscrits qui arrivent, portés à bout de bras tremblant par des candidats à la publication. Renseignement pris, c’est au 139, troisième étage par l’escalier en colimaçons. Le couloir a beau être étroit et chaque pièce minuscule, on a du mal à trouver. Normal : le bureau de J.-B. Pontalis est un peu à l’écart. Et ça lui va bien.
L’homme nous accueille dans les six mètres carrés (environ) où il officie tous les matins, rue Sébastien-Bottin. Une fenêtre, au-dessus de laquelle trône une photo de Claude Roy, donne sur le jardin. Le 139 est très calme.
L’homme a l’œil malicieux et sa façon de nous recevoir en deux phrases dénote une politesse chaleureuse. Il n’y a pas la place, ici, d’aligner tous les livres de la collection « L’Un et l’autre » qu’il créa en 1989. Pas plus qu’on ne pourrait faire tenir ici tous les ouvrages que J.-B. Pontalis a publiés pour Gallimard.
Né en 1924, agrégé de philosophie, le futur auteur du fameux Vocabulaire de la psychanalyse (1967, avec Jean Laplanche) entre très vite au CNRS dont il franchit un à un les échelons. En 1953, il commence une analyse avec Lacan afin de devenir psychanalyste lui-même. Il suffit aujourd’hui de taper son nom sur les moteurs de recherche du web pour constater combien sa réputation est grande dans le milieu de la psychanalyse. Ses essais y sont pour beaucoup. Mais il doit sa renommée aussi à la collection qu’il crée, rue Sébastien-Bottin, à la fin des années soixante : « Connaissance de l’inconscient ». « J’ai proposé cette collection à Claude Gallimard parce que Gallimard a été un des premiers éditeurs en France à publier Freud. » Le premier titre paraît en 1967, il s’agit d’un choix de correspondance de Freud.
À l’époque ce que l’homme ne dit pas il doit bien compter parmi les intellectuels dont on parle à Paris : on l’a vu proche de Merleau-Ponty, de Sartre. En 1960, il fait partie des signataires du Manifeste des 121 contre la Guerre d’Algérie. C’est Dionys Mascolo, également pétitionnaire, qui l’introduit auprès de Claude Gallimard.
« Connaissance de l’inconscient » est un succès et s’enrichit « d’appendices » comme la série « Tracés » qui propose des livres plus courts. L’homme travaille chez lui et au CNRS jusqu’à ce que Claude Roy lui propose de partager le bureau 139 qu’il n’a plus quitté. Plus de cent titres paraîtront jusqu’à aujourd’hui.
En 1970, Pontalis crée La Nouvelle Revue de psychanalyse. « C’était un projet un peu vague. Je voulais une revue qui ne soit pas destinée qu’à la profession. Qu’elle soit plus ouverte. » Sous l’énoncé d’un thème, « Incidences de la psychanalyse » pour le premier numéro, « Le secret », « Pouvoirs » ensuite, la revue...
Éditeur Label bleu
Psychanalyste et écrivain, Jean-Bertrand Pontalis a créé la très littéraire collection « L’Un et l’autre » il y a seize ans chez Gallimard. Sous la couverture bleu nuit, chaque titre explore la mémoire et la trace, avec une subjectivité qui lie l’auteur à son sujet. Et l’éditeur à ses auteurs.