Qu’est-ce qui pousse les humains à voyager, puis à retranscrire leurs pérégrinations sur des feuilles de papier ? Alain Dugrand tente de répondre en esquissant un pied de nez avec ce commentaire de Cornélius Paw : « Sur cent voyageurs, il y en a soixante qui mentent sans intérêt, et comme par imbécillité, trente qui mentent par intérêt, ou, si l’on veut, par malice, et enfin dix qui disent la vérité, et qui sont des hommes. » À la lecture de son dernier carnet de voyages sous-titré « Voyages du Caucase en Indus », la réponse apparaît évidente : le besoin de fraternité, le désir de connaître le maximum d’expériences humaines. Précision : l’expérience de « simples gens », ceux qui ont peuplé son voyage de dix ans dans des pays qui s’enflamment, se contorsionnent depuis la disparition de l’Union Soviétique, Abkhasie, Georgie, Arménie et d’autres où l’islamisme fait des ravages, l’Iran et le Pakistan. Sur les rivages de la mer Noire, dans les anciens lieux de villégiatures des Tsars ou des dignitaires communistes finit de se flétrir la République abkhase dont la capitale est Soukhoumi. Dugrand y rencontre la comtesse Médéa dont les doigts enserrent un bâton qui la protège des rats. Aveugle, misérable, dans les ruines de son ancien palais, à quatre-vingt-trois ans, elle attend la mort. « Près d’elle, dans un gros édredon de plume, un visiteur désemparé a placé une énorme horloge, dont Médéa lit les aiguilles, du bout des doigts, son dernier filet de vie. » Si Dugrand privilégie les portraits sensibles d’individus ou de communautés, il sait évoquer aussi avec lucidité et pragmatisme les conditions géopolitiques qui ont mis à feu et à sang nombre des pays évoqués. Une très belle carte du Tendre.
Les Cendres de l’empire d’Alain Dugrand
Hoëbeke, 185 pages, 16 €
Domaine français De simples gens
mai 2006 | Le Matricule des Anges n°73
| par
Dominique Aussenac
Un livre
De simples gens
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°73
, mai 2006.