Ce récit, premier volume d’une trilogie à paraître, a la saveur des sketches de Laurel et Hardy et une longueur en bouche évoquant un certain M. Hulot. Un « trois-en-un » parfaitement dosé et servi par un travail très fouillé sur la narration. Quelques constructions de phrases en tête-à-queue, des rythmes courts, des répétitions sont au cœur de ce roman qui au départ tourne sur lui-même puis emprunte des chemins de traverse spectaculaires. Peu importe l’histoire elle-même en vérité. Un narrateur omniscient fait un récit naïf et elliptique assez déconcertant des événements extraordinaires qui ont lieu dans la vie d’une famille somme toute très ordinaire. Car, tout bien considéré, le quotidien de Kurt, conducteur d’un chariot transpalettes sur les docks est régi par une immuable répétition à mourir d’ennui mais sauvé in extremis par la pérennité d’un plaisir enfantin : « heureusement pour lui, Kurt adore conduire son Fenwick. Il s’amuse comme un petit fou. Dans son Fenwick jaune. C’est bien. Car sinon ce serait pas marrant d’être Kurt. » Et pour se détendre, Kurt a un moyen imparable : « C’est bon de marcher un peu après avoir passé sa journée au volant du chariot élévateur transpalettes. Il regarde le port. Il semble à moitié vide. Kurt trouve que c’est bon que le port semble comme ça à moitié vide. Il continue son petit tour. C’est bon de marcher. » Comme le suggère la phrase qui se referme sur elle-même, Kurt a bouclé la boucle, il tourne en rond. Seul un coup de théâtre gargantuesque peut advenir pour sauver le roman d’un effet dramatique et « pof ! (…) zim (…) un poisson gigantesquement énorme », échoué sur les docks va permettre de changer le cours des choses. Dès lors, les phrases s’ouvrent, se délient. Une avancée devient possible. Le récit s’oriente vers l’absurde et le burlesque. Le long dialogue (ponctué de silences) entre Kurt et Gunnar son patron en est une illustration remarquable. De la page 21 à 25, l’un et l’autre s’interrogent sur ce qu’ils doivent faire de l’énorme poisson. Après avoir tourné autour du pot, Gunnar décide finalement qu’il sera donné à Kurt puisque c’est lui qui l’a trouvé et que, par-dessus le marché, il aime manger du poisson. Kurt accepte cette proposition comme un geste de générosité de la part de son patron. « C’est pour dire à quel point il est chouette ce type, Gunnar. »
Si l’on rit beaucoup à la lecture de ce roman, on peut aussi y voir en filigrane le chemin d’une vie. Kurt décide d’abandonner son travail et d’emmener femme et enfants à travers le vaste monde dans son camion transpalettes. Il charge le poisson qui servira de nourriture durant ce voyage au long cours brossé à gros traits. Car ce qui importe le plus, c’est l’aspect initiatique de ce voyage dont les effets sont finement représentés au travers de la métamorphose du corps d’Helena, 11 ans, une maigrelette devenue grassouillette et belle à souhait. Ce corps incarné symbole de l’épanouissement de Kurt et de sa famille qui, au final, décident de retourner vivre en Norvège.
Kurt et le poisson, c’est une vision décalée du monde, une vision anticipatrice, un monde à soi que le lecteur découvre avec un étonnement sans cesse renouvelé. De nombreuses illustrations au trait noir et fin soulignent la naïveté et la candeur du ton de ce remarquable roman.
Jeunesse Un voyage extraordinaire
juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75
| par
Malika Person
Le périple d’une famille à travers le monde ou les aventures loufoques de Kurt le magnifique. Un roman savoureux du Norvégien Erlend Loe.
Un livre
Un voyage extraordinaire
Par
Malika Person
Le Matricule des Anges n°75
, juillet 2006.