François Salvaing ou l'art du roman
À l’en croire, on doit beaucoup à une lectrice de pouvoir lire aujourd’hui les romans de François Salvaing : une jurée du prix Inter de 1988 qui s’est enthousiasmée pour Misayre ! Misayre !. Enthousiasme contagieux : le virus s’est propagé à la majorité des autres membres du jury qui couronna le quatrième roman de l’auteur. Sinon, quoi ? Salvaing aurait-il abandonné les voies de l’écriture ? Probablement pas. Mais peut-être n’aurait-il pas pu trouver les éditeurs qui ont été les siens. Car les romans de François Salvaing ont un gros défaut : ils ressemblent à des romans étrangers tels qu’on se les figure. On y trouve en effet des personnages, une intrigue, des événements, on y voyage un peu dans l’espace ou le temps. L’autofiction, quand bien même il dresse un portrait de son père dans Raoul et Casa, n’est pas son horizon. Pas plus que la déconstruction formelle. Quand on commence à écrire dans les années 70, qu’on reprend l’écriture, un temps délaissée, à la fin des années 80, ce genre de défaut éloigne des courants à la mode.
Lira-t-on François Salvaing au lendemain de sa mort ? La question est abrupte, mais son nouveau roman, Jourdain, conduit à ce qu’elle soit posée. Jourdain raconte, entre autres (car les romans de notre hôte sont tissés de bon nombre d’histoires), ce que peut laisser un homme qui s’en va ; quel legs il peut offrir autant à ses proches qu’au monde qu’il va quitter. Cette question du legs, pourquoi ne pas la voir aussi comme une métaphore de la pérennité de l’écrit ? On peut citer quelques-uns des titres de l’auteur qui ont marqué leurs lecteurs et qu’on ne trouve déjà plus en librairies, sinon, pour quelques-uns, en format de poche au bord de l’épuisement : La Nuda, De purs désastres, Misayre ! Misayre ! auxquels on peut ajouter Rapport à la générale, Mon poing dans la gueule, Le Tour du tour par 36 détours. Ce dernier ayant été abandonné à un soldeur pour cause de faillite de l’éditeur… Il y aurait de quoi ruminer de bien sombres pensées.
L’écrivain a d’ailleurs mis en scène son double dans Parti : Frédéric Sans est victime d’une commotion cérébrale qui l’empêche d’écrire le roman sur le PC qu’il projetait. À nouveau, on peut voir ici une métaphore de l’impuissance de l’écrivain à changer la vie. Agir sur le monde : c’est un des leitmotive de l’œuvre. Agir et porter le deuil de l’impossibilité de réussir. Pourtant, avec son gabarit de troisième ligne des années 60, François Salvaing n’est pas homme à se plaindre. Il serait plutôt du genre à se battre. Adepte des débats contradictoires, des confrontations, on sent chez lui l’amorce d’une jubilation à opposer ses idées à d’autres opinions. À moins que les combats ne soient qu’une diversion pour masquer les troubles émotionnels. Et la fiction, une façon élégante de mentir vrai.
Prenez Casa. Réjouissez-vous de la phrase qui vous mène en bateau, vous fait tanguer, filer fissa à travers le Maroc de 1942 à l’indépendance : vous y découvrirez la silhouette de...