François Salvaing ou l'art du roman
Chacun de ses livres a beau être différent du précédent, que ce soit avec ses romans, ses nouvelles ou ses chroniques, c’est toujours une évidence que le livre qu’on lit est signé de François Salvaing. C’est donc d’abord un style qu’on repère, ou plutôt, une attention au style qui se marie à un regard acéré sur le monde. Son œuvre romanesque, qui tire mille fils narratifs, a beau s’adosser à toute une tradition de la littérature, le lecteur y trouvera sans cesse du nouveau. Alors qu’août se grimait en septembre, l’écrivain nous a reçus dans sa grande maison de vacances, dans ce Lot où les villages portent des noms voisins de ceux, parfois ariégeois, qu’on trouve dans Misayre ! Misayre ! La Boîte ou La Nuda. Le romancier avouait un malaise à faire ainsi l’objet d’un entretien : un sentiment d’imposture lié au fait qu’un écrivain, selon lui, n’est écrivain que lorsqu’il écrit. Mais homme de dialogue, ou de débats, c’est frontalement qu’il a répondu à nos questions.
Vous êtes un raconteur d’histoires et vous écrivez des romans dont la tradition, balzacienne, est apparue obsolète depuis les années 70. Vous êtes-vous demandé s’il était encore possible d’écrire de tels romans aujourd’hui ?
C’est une question que je ne me pose pas sinon quand on me la pose. Ça arrive. Je me souviens d’un débat durant lequel, Annie Ernaux, à côté de qui je me trouvais, a dit que le récit était mort. Je ne sais plus si comme Adorno avec la poésie, elle datait cette mort d’Auschwitz… J’avais commencé à réfléchir à ça. Pour moi, c’était déjà formidablement faux, ce qu’elle disait puisque j’écrivais des récits. C’est-à-dire, puisque je ressentais la nécessité de le faire. Puisque je n’étais pas le seul. Pas seulement en France, à l’échelle mondiale on est quand même quelques-uns à écrire des récits…
Pourquoi suis-je venu au récit ? Pour une part, je pense qu’il est impossible d’écrire un roman si on n’est pas travaillé par une utopie. Le roman est une hypothèse improbable. Un roman n’est pas un sondage sociologique, ça ne prétend pas, à mes yeux, refléter le réel, répéter le réel, mais le féconder par l’imaginaire. Il s’agit donc de partir de quelque chose qui n’est pas forcément avéré, quelque chose qui aurait pu avoir lieu et qui aura peut-être lieu.
Je pense que les romanciers ont en tête une utopie. Ils ont en tête, par exemple, ce que c’est que le couple idéal que jamais le roman ne va rencontrer : la faillite du couple va être montrée parce que, en creux, existe la figure du couple idéal. Il en est de même des familles, de la justice idéales, etc. Si on n’a pas du tout de relation avec l’utopie, probablement est-il impossible d’écrire des romans. Chez moi en tout cas, il y a un lien très profond entre trois choses : l’utopie, l’enfance, la production romanesque.
Si le récit peut féconder le réel, c’est pour faire naître quoi ?
Je ne pense pas que ce soit « pour »… Je n’écris pas « pour » que le réel soit meilleur....