À Komárno, petite ville slovaque, Gusto Rühe, témoin des exactions commises par les communistes, vivote. Au moyen d’Adular, une pierre aux pouvoirs sibyllins, il prédit à l’idiot du village, Samko Tále, qu’il sera l’auteur du Livre du cimetière. Momentanément privé du chariot l’aidant à transporter les cartons qu’il glane, Samko condescend à l’écriture et s’applique à brosser un tableau au vitriol des mœurs de son pays. Délateur raciste et homophobe, ennemi juré de la « démocrassie », il proclame ce que d’aucuns taisent : « Dans notre famille, il n’y a pas eu un seul pédé ou lesbienne, car autrement quelle honte, mais par bonheur nous avions une très bonne famille à l’égard des pédés et des lesbiennes. »
Le Livre du cimetière est un premier roman (publié en 2000) qui relève de la gageure : son véritable auteur, Daniela Kapitánová, use d’un procédé littéraire courageux mais ô combien périlleux. En s’insinuant dans les pensées d’un simple d’esprit, elle parvient toutefois à dénoncer certains travers. Par l’entremise du soliloque de ce citoyen peu ordinaire, Le Livre du cimetière aborde des sujets contemporains divers et sérieux, tels que la partition tchécoslovaque, la cohabitation d’ethnies distinctes ou l’officialisation de la langue : « Les Slovaques sont les meilleurs du monde et la langue slovaque est la plus belle du monde. Nous l’avons appris à l’école et ils l’ont dit à la télévision, que la langue slovaque est la plus belle du monde. »
Cependant, la syntaxe rudimentaire et le discours très stéréotypé de Samko Tále ne possèdent pas la force et la virtuosité inhérentes au monologue intérieur de l’idiot faulknérien, Benjy Compson.
Jérôme Goude
Le Livre du cimetière
Samko Tále
Traduit du slovaque par Barthélemy Müller
illustré par Fero Lipták
Éditions L’Engouletemps, 174 pages, 15 €
Domaine étranger De l’idiotie
janvier 2007 | Le Matricule des Anges n°79
| par
Jérôme Goude
Un livre
De l’idiotie
Par
Jérôme Goude
Le Matricule des Anges n°79
, janvier 2007.