On voulait sortir de notre univers de thésards. Casser la routine. » Nathalie Eberhardt, prof de philo dans un lycée à Strasbourg, et Christophe Sedierta, juriste, caressaient plutôt l’idée de fonder une revue. Ils verront plus grand. Le déclic se produit en juin 2006. Le couple assiste à une adaptation de Petit camp de Pierre Mérot par la troupe de Simon Delétang. Et sort du théâtre bouleversé, « autant par la puissance du texte, servi par une mise en scène un peu dada, que par l’accueil glacial du public ». Ce fut la dernière goutte qui chassa leurs doutes. « Il fallait passer à l’acte. Défendre des textes pareils, envers et contre tout. » La Sarl est créée avec un capital de 30 000 e. « On ne connaissait rien à ce métier. » Ils apprennent, soutenus et conseillés par les voisins de la librairie Quai des brumes.
Le logo, dessiné par le graphiste Philippe Delangle, où un homme brandit à bout de bras une goutte d’encre ou un soleil noir, dit bien l’esprit de la maison. Il s’agit de publier une littérature frondeuse, caustique, portée vers l’étrangeté et marquée par un enracinement historique. « Il y en a assez de ces textes qui ne remettent pas en cause les normes », dit cette lectrice de Musil et de Jelinek. Les goûts de Christophe, lui, il faut plutôt aller les chercher vers les auteurs anglo-saxons, comme Ballard ou Palahniuk, qui savent « tirer des coups de canon sur le conformisme social ». Les deux sont faits pour s’entendre. Et élargissent volontiers leurs propos : « Nous vivons une époque où il n’y a jamais eu autant d’enjeux politiques. Mais on jette un voile de silence sur ce qui dérange. C’est le temps de la digestion perpétuelle. »
La Dernière goutte a publié en février ses quatre premiers titres, dont une belle découverte, Mes enfers de Jakob Elias Poritzky (1878-1935), redoutable odyssée à travers l’Europe d’un inconsolé qui crie sa rage à un monde sans Dieu. On songe à Oskar Panizza ou Ladislav Klíma. L’œuvre de cet écrivain polygraphe, qui inspira Rilke, a complètement disparu en Allemagne. « Dommage de guerre », est-il mentionné dans les bibliothèques à son endroit, pour ne pas écrire autodafé. « Le psychiatre Otto Ranke le voyait comme l’égal de Poe ou de Maupassant. On a acheté Mes enfers à un antiquaire d’Hambourg. C’est un récit qui fait réfléchir sur l’orthodoxie, l’acculturation, le positivisme. »
La Dernière goutte entend également faire redécouvrir les premiers livres du prolifique Jacques Sternberg, « un auteur mal lu » selon Nathalie. « Chez lui, la culpabilité du survivant nourrit la faillite du langage qu’il exploite par l’absurde. » Après Le Délit (paru en 1954 chez Plon), elle rééditera Un jour ouvrable. Deux premiers romans (signés Marie-Agnès Michel et Anne Gallet/Isabelle Flaten) complètent le catalogue naissant. « Nous recherchons avant tout des plumes originales. La première qualité d’un livre n’est pas de plaire ».
Pour l’instant, La Dernière goutte (qui prévoit quatre titres par...
Éditeur Une goutte salée
avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92
| par
Philippe Savary
Basées à Strasbourg, les éditions La Dernière goutte inaugurent un catalogue noir et mordant ouvert aux domaines français et étrangers.
Un éditeur