Puisque cette œuvre ne montre presque rien du Nord/Pas-de-Calais (sinon quelques briques, deux trois toiles cirées, un bout de littoral), puisqu’en masse les spectateurs en reviennent pourtant remplis comme d’une savoureuse démonstration, rendons-nous à l’évidence du Verbe : c’est la part de dialogue qui fait à elle seule toute la valeur anthropologique de Bienvenue chez les Ch’tis, dont quelques répliques suffisent d’ailleurs à suggérer la pimpante dynamique d’intrigue. Et un : « On dirait même pas du français » (muté dans la commune de Bergues - 59380 -, un directeur de poste au désespoir fait l’expérience traumatisante de l’altérité langagière). Et deux : « On dit pas putain comme chez vous, on dit vin dious » (dans une accueillante brasserie du Vieux Lille, ses employés lui dévoilent généreusement les bases pittoresques de leur patois, et néantisent par là les tracas de l’altérité). Et troé : « Mi, avec ch’l’équipe de l’poste, in voudro a’rcommander eul’même koz ! » - reprenant du Maroilles et des frites, notre directeur se dépucelle dans la joie, il est des nôtres.
Épouse protestante d’un des « acquittés d’Outreau », Odile Marécaux parle avec l’accent populaire du Nord. Ce particularisme entraîna une mésentente carabinée à l’heure des auditions : « Quand je disais au juge Le dimanche on va au temple, il notait : Le dimanche on va à Etample ». Etample, c’est-à-dire en Belgique. C’est-à-dire Dutrou’s landes : bon sang mais c’est bien sûr. L’anecdote projette une lumière point trop euphorique sur les quiproquos dialectaux - que le souriant Dany Boon se situe dans un autre registre, pourquoi pas. N’empêche qu’un tel sacre, et surtout pareil catéchisme - Un antidote à la crise le film qui redonne le moral aux français un hymne à la fraternité etc. -, bizarre. Alors même que la Raison républicaine ne cesse de brandir l’impérieuse nécessité d’une langue partagée, censément rempart de la République et du progrès, l’idiome ch’timi remplit d’aise. À l’heure où l’on ne cesse d’enjoindre les jeunes banlieusards de fondre dans le sucre d’un idiome commun CAR ILS NE SAURAIENT MÊME PASSER UN ENTRETIEN D’EMBAUCHE, la France se prend d’amour pour le Quasimodo bonasse qu’incarne l’ami Boon, postier dont la délocalisation s’avérerait difficultueuse sauf à lui adjoindre un grand frère bilingue. Et quand nique ta mère est littéralement compris comme cri de ralliement des hordes inciviles, vient à être intronisée, au titre d’affectueuse ponctuation, une sacro-sainte biloute (i.e. « la petite quéquette », selon la définition du Parler de nos villages, éditions Ricoré). Il faut dire que la langue est sans doute moins en cause que ceux qui la parlent. Il n’échappera pas que, parmi les absences qui donnent à notre cinématographique phénomène de société des airs d’abstraction monochrome (pas d’enfant, pas de politique, pas de sexe, ça le fait), il y a celle des faciès vraiment étrangers. Et que les intérieurs sont ici ceux de la gendarmerie ou du bureau de poste : libre alors aux particularismes de chatoyer au premier plan, demeure la teinte rassurante et un peu passée des services publics pour assurer la toile de fond.
À l’attention des cinéastes en herbe, résumons. Le succès s’attrape avec un genre raisonnablement accordé au pitch : de jeunes maghrébins qui peinent à parler le théâtre classique, cela pose évidemment divers problèmes, mieux vaut opter pour un traitement d’auteur, va pour L’esquive et l’Utopia ; un guichet semi-rural des P.T.T. où l’on se doit de translater chaque syllabe, c’est sans conteste plus rigolo, la farce et le multiplexe s’imposent. Renvoyez à plus tard les constructions indécises où le traitement n’irait plus de soi : qu’une classe de lunatiques bas-bretons s’empare de Valère Novarina, que des consanguins ardéchois s’essayent à la mise en voix de
La Nuit sexuelle, et nous serions à balancer entre document social et comédie familiale, ne sachant même plus s’il y faut traîner sa classe ou emmener ses enfants.
Gilles Magniont
Avec la langue Le patois c’est moi
juin 2008 | Le Matricule des Anges n°94
| par
Gilles Magniont
L’époque a trouvé son mot d’ordre : sous les biloutes, la France !.
Le patois c’est moi
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°94
, juin 2008.