Dans les griffes de la Hammer : France livrée au cinéma d’épouvante
Pour célébrer un culte, choisissez soigneusement son objet : par exemple la société britannique de production Hammer, et notamment les films sanguino-élégants de Terence Fisher, qui, de la fin des années 50 jusqu’au début des années 70, vinrent revisiter le fonds de la littérature gothique, les délicieux Christopher Lee et Peter Cushing en tête de générique. L’épouvante éclatait désormais en technicolor, de La Revanche de Frankenstein jusqu’aux Vierges de Satan ; les budgets étaient petits mais l’esthétique victorienne - et l’horreur érotisée : on ne sait trop si les victimes décolletées craignaient véritablement les monstres, ou si elles aspiraient à en renforcer l’étreinte. Pensez aussi à quelques espaces où dire la messe : soient les salles parisiennes aux allures de baraque foraine qui offraient asile aux clochards, ou les revues dans lesquelles s’inventait le goût nouveau, tel Midi-Minuit Fantastique, interdit aux moins de vingt et un ans alors que son rédacteur en chef ne les atteignait pas. N’oubliez pas non plus les guerres de religion : chose alors aisée, Malraux condamnant les arts d’assouvissement et le fantastique faisant encore figure de contre-culture - on n’avait pas même traduit intégralement le Dracula de Bram Stocker…
En quatre cents pages, Nicolas Stanzick sait balayer son sujet dans tous les coins : résultats complets du box-office et exégèse pointue des œuvres, larges extraits de presse et non moins larges entretiens, rien ne manque au sérieux sorbonnal de cette analyse de réception. Si ce n’est, peut-être, un peu de l’air transgressif qui venait avec ces vampires, parmi les premiers à vouloir jouir sans entrave. L’un des zélateurs d’alors, comme aujourd’hui coincé au jeu de la reconnaissance critique et de la nostalgie, le fait doucement remarquer à Stanzik : « C’est assez triste ce genre d’interview ». G. M.
Dans les griffes de la Hammer de Nicolas Stanzik, Éditions Scali, 464 p., 29 €