Ce roman est un best-seller en Espagne. Mais au contraire de tant de best-sellers produits à la chaîne, il n’enfile pas des clichés au kilomètre et son écriture est aussi évocatrice que précise. On comprend que le lecteur espagnol s’y soit retrouvé : la cuisine, les paysages et les villes, la culture et l’histoire de son pays sont ici remarquablement mis en scène. Mieux, c’est un passé récent douloureux et intriguant qui est ici interrogé à travers deux familles, leurs parents et descendants, des deux côtés des Pyrénées. Alvaro, assistant à l’enterrement de son grand-père Julio Carrion, aperçoit une jeune et belle inconnue. Intrigué, il la rencontrera pour apprendre qu’elle fut la dernière maîtresse de cet homme de pouvoir de plus de 80 ans. Elle vient de France où se sont réfugiés ses ancêtres républicains après la guerre civile. Peu à peu, l’on apprend que le prestigieux homme d’affaires Julio Carrion cache un lourd secret : il a appartenu à la « Divizion azul », les troupes d’élite franquistes. Voilà une famille où l’on est capable de livrer l’un de ses membres aux phalangistes… Alvaro, irrésistiblement fasciné par la dangereuse donzelle, trompera-t-il son épouse irréprochable et aimée ; mais surtout - enjeu bien plus considérable à l’échelle de l’Espagne entière - réaliseront-ils, en apprenant ces histoires qui rendent « le cœur glacé », la réconciliation des mémoires antagonistes ? Le cœur de Julio Carrion a bel et bien lâché devant la menace de la révélation de son passé. Saga familiale documentée aux personnages nombreux et parfaitement individualisés, dramaturgie judicieusement ordonnée, analyses psychologiques sans lourdeurs, formules parfois élégantes et riches de sens pour un roman qui, s’il n’est guère novateur et n’est en rien le défricheur de ce genre de thématiques, est efficace.
LE CŒUR GLACÉ
d’ALMUDENA GRANDES
Traduit de l’espagnol par Marianne Millon,
JCLattès, 1080 pages, 25 €
Domaine étranger Le coeur glacé
novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Le coeur glacé
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°98
, novembre 2008.