Parfois, il emmène son auteur chez le marchand de papiers choisir une couleur. L’édition, pour Jacques Damade, est un art de vivre. Son catalogue s’apparente à une petite bibliothèque idéale. Sous des couvertures à rabats, se lisent le voyage, l’aventure, dans leurs grandes largeurs (du XVIIe au XXIe siècles). Mais aussi le goût de la langue, le pouls d’une époque - et son regard contemporain. On peut ainsi suivre Georges Groslier ou Pierre Lartigue le long du Mékong. Croiser Pline l’Ancien ou l’orientaliste Antoine Galland. Redécouvrir les figures de Dumas, Conrad, Vincent Voiture, de Montesquiou. « Je ne suis pas un érudit. Et si je suis un peu malade du passé, je me soigne », confesse Damade, également co-animateur de la revue Fario. Il y a surtout chez lui l’attrait du bon plaisir : le Traité de la concupiscence de Bossuet voisine avec les chroniques de Jean-Marie de Busscher, fine gâchette de Charlie-Mensuel, ou encore les Paysages animés du génial visionnaire de Pawlowski. Les récits épiques de corsaires rivalisent eux avec ceux des malfrats dont l’histoire des chauffeurs d’Orgères (1800), ancêtres des saucissonneurs, mérite un cuisant détour.
Né en 1955, Damade dit avoir été un mauvais élève. L’étudiant de lettres à Nanterre suit les cours de Foucault et Deleuze. Chronique des livres à Libération avec son ami Takis Theodoropoulos « sous la signature de Mexico of love ». Fréquente le cercle de Roland Barthes. Devient enseignant et fonde avec des amis une école privée dont il assure aujourd’hui la direction. Au début des années 90, Jean-Pierre Bernès, spécialiste de Borges, lui propose un inédit. C’est le « déclencheur » pour Damade, admirateur du maître argentin. La Bibliothèque est née, baptisée aussi en hommage à son grand-père…
Il aura connu les galères : la faillite du distributeur Distique, l’incendie des entrepôts des Belles Lettres en 2002. Treize mille ouvrages partent en fumée. « Je me suis soigné à Proust et à Giono pendant mes insomnies », sourit-il. Après le sinistre, il fait paraître Naissance du fantôme, florilège du surnaturel dans la littérature fin-de-siècle. Ce qui prouve que notre hôte ne manque pas d’humour. Dans la foulée il lance le prix du Petit Gaillon, destiné à soutenir l’édition indépendante. Lequel n’est plus. « Le restaurant a été repris par des rugbymen, qui préféraient décerner le prix du Quinze. »
Il y a aussi sa passion de Paris. Damade avait déjà imaginé une collaboration entre Baudelaire et le graveur Meryon dans sa collection « Les Utopies ». En octobre, il fera paraître Figures de Paris, qui ressuscite les petits métiers de la capitale, de la pierreuse (Jarry) au ramasseur de mégots (Klingsor). « J’aimerais bien trouver un auteur qui écrirait sur le quartier des Halles aujourd’hui. »
Quelle est l’histoire de cette bibliothèque qui a donné le nom à votre maison d’édition ?
C’est la bibliothèque disons d’un parfait gentilhomme cultivé constituée par mes ancêtres, entre...
Éditeur Regards éclairés
juillet 2009 | Le Matricule des Anges n°105
| par
Philippe Savary
Amateur de récits de voyages, de textes anciens et de curiosités, l’éclectique Jacques Damade a fondé La Bibliothèque en 1992 autour de deux passions : Borges et une… bibliothèque familiale.
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