Il aura peu vécu : Olivier Diraison-Seylor appartenait à la génération sacrifiée qui entra dans la trentaine en 1914 et n’atteint jamais la quarantaine. Une tranchée lui fut fatale qu’elle ne franchit jamais, arrêtée par une balle, un obus, des schnarpels. Olivier-Eugène-Jules Diraison, dit Diraison-Seylor - pour sailor, le marin -, aurait pu éviter la boue en ne refusant pas sa réaffectation dans la marine, mais son dédain pour cette arme, qu’il avait conspuée dans un roman scandaleux, Les Maritimes, mœurs candides (F. Juven, 1900), son premier fait d’arme littéraire sous le pseudonyme. Homme de principe et d’honneur, il avait dans ce premier livre dénoncé, écœuré à la suite de la perte du croiseur La Pérouse en 1898 l’incurie de chefs incompétents et les mœurs volages d’épouses esseulées, sans négliger de situer la plus grande partie de son roman à Toulon, en mettant en scène sous des noms à peine maquillés, les personnalités de la marine militaire du cru… La polémique fut terrible, les protestations indignées, il fut provoqué cinq fois en duels par des officiers de la Royale dont la presse rendit compte, parfois en images. Jugé à la préfecture maritime de Brest pour « faute grave contre la discipline », il fut réformé en 1901 et son grade cassé. Piètre compensation pour Diraison : Claude Farrère remporta la timbale en s’inspirant de son histoire notoire pour rédiger Les Petites Alliées, colossal succès s’il en fut. Diraison, lui, était toujours provoqué en duel en 1902… Bretteur éprouvé, il s’en sortit sans grands dommages et se tourna vers la littérature, puis entra, le 14 avril 1906, en fonction dans l’administration coloniale du Laos au grade de premier commis, l’année même de publication de Stéphen Harris, joueur (Juven), autre roman de mœurs carabiné dénonçant les vagues existences rentières. « Crois-tu que toutes les existences sont aussi vides que la tienne ? » demandait-il en épigraphe. Il avait entretemps publié sur le même air Le Tout pourri, roman de mœurs parisiennes (1903) où étaient dégommés théâtreux et « artisses ». Chacun son tour…
La folie de son personnage, Charles Dynvic, n’aurait-elle pas inspiré Apocalypse Now ?
La découverte de l’Asie fut pour ce fils de notaire, né à Plouescat, en Bretagne, place des Halles le 31 juillet 1873 - ou 1875 -, une autre aventure. Après sa formation à l’École navale, où il avait servi sur Le Borda (1892), et son premier poste d’aspirant « aux îles », c’est-à-dire à Madagascar, consécutif à son décevant passage à Toulon de 1896, il éprouva d’autres choses encore au Laos, plus déstabilisantes sans doute, plus profondes. Et l’Asie, parcourue tout « au long de ce Mékong bizarre », poussa plus loin sa littérature. Si l’on excepte ses conférences sur l’amour et les femmes exotiques, il semble qu’avec Du fond des Abîmes (Eugène Figuière & Cie, 1911), Olivier Diraison-Seylor ait touché du doigt des affres qu’il avait jusque-là ignorées. « Ici, il n’y a pas d’ombre autour de la douleur ; on souffre moralement comme on souffre physiquement du terrible soleil, et l’on meurt brûlé de clartés. »
À propos de ce livre, il restera toujours une interrogation : Diraison-Seylor avait-il eu vent, au moment de l’écrire, du chef-d’œuvre de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, publié en anglais dès 1902 ? Probablement pas (la traduction française date de 1925). Aussi vient ce doute : la folie de Charles Dynvic n’aurait-elle pas inspiré, elle aussi, Apocalypse Now ? Le parallélisme des topographies et des folies est assez remarquable pour qu’on s’autorise la question. Sans y répondre, évidemment. D’ailleurs, Olivier Diraison-Seylor ne laissait-il pas entendre, par la bouche de son personnage Dynvic, « surveillant des Travaux publics au Laos » qu’il était illusoire de chercher à percer ses mystères ?
« Quoi qu’on ait pu conter de ma vie, si peu de gens l’ont connue que, la détaillant ici, j’étonnerais médiocrement la foule amorphe - aux flots de laquelle mon nom fut un jour jeté, comme une pièce de monnaie parmi un grouillement de gamins, une sortie de baptême - et bien davantage ceux-là même dont j’ai subi le voisinage, dont l’effort à confronter leurs souvenirs ridiculiserait une image de moi, hachée en mille morceaux de dix miroirs, joviale, hautaine, tendre, brutale… surtout inquiète et inquiétante. »
Tout dénonce dans la figure nimbée d’ombres d’Olivier Diraison-Seylor une tendance à l’héroïsme, fût-il pamphlétaire. Un sens aristocratique de l’Homme qui lui avait fait vomir les petitesses de la vie de garnison, l’engagea à ne pas se départir de sa dignité volontaire. On ne sera donc pas étonné par les circonstances de son trépas : lorsque la guerre éclata, en septembre 1914, il refusa sa réintégration dans la marine et s’engagea comme simple soldat dans l’infanterie. Rapidement promu lieutenant, il se distingua une fois encore, comme le signale l’Anthologie des écrivains morts à la guerre en contant ses derniers instants : « il entraîna sa section à l’assaut du 17 juin 1916 avec le plus complet mépris de la mort. La main traversée d’une balle, a continué de progresser jusqu’au moment où il fut atteint d’une blessure au ventre. Tombé dans un trou d’obus a demandé le mousqueton d’un mitrailleur et a continué à tirer jusqu’à ce que l’ennemi l’eût achevé à coups de grenades. »
Égarés, oubliés Digne marin
octobre 2009 | Le Matricule des Anges n°107
| par
Éric Dussert
Officier dégoûté par les petitesses de ses contemporains, Olivier Diraison-Seylor se fit pamphlétaire. Puis il découvrit l’Asie….
Digne marin
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°107
, octobre 2009.