Si vous souhaitez amuser votre entourage, à la question « que fais-tu ? » répondez « j’écris un article sur Scholl ». Les faces hilares que vous contemplerez dès lors vous laisseront à penser que tous songent à certaine tatane d’outre-Rhin. Le nom d’Aurélien Scholl n’est pourtant pas ignoré des lecteurs et des internautes qui peuvent à loisir retrouver ces mots dans les recueils de « pensées » où sont répertoriées à l’envi ses trouvailles. Moins confortable que la chaussure susdite, la carrière d’Aurélien Scholl fut celle d’un homme « impulsif, querelleur et tracassier » (Pierre Mille, Anthologie des humoristes, 1928) auquel son activité procura plus que son lot d’anicroches, duels et procès. Mais quelle audience ! Et quelle aura !
Fils d’un notaire de Bordeaux, où il était né le 13 juillet 1833 et avait signé ses premiers poèmes d’inspiration socialiste dans L’Echo rochelais à l’âge de 15 ans, il débarqua à Paris en 1851 en même temps que Jules Vallès, le conscrit avec lequel il se lia d’une forte amitié à la rédaction de La Naïade, journal des baigneurs dont Vallès évoquera les aqueuses joyeusetés dans Le Bachelier. C’était l’époque où les petits journaux fleurissaient à tous les coins de rues, où la « petite presse » expérimentait les nouvelles plumes, les esprits frais et insolents. Aurélien Scholl, selon Léon Rossignol avait alors « Trente ans à peine, (…) un œil fin, une moustache téméraire, une lèvre au sourire légèrement dédaigneux. / Il a cette élégance vigoureuse qui dénote un caractère aventureux (…) et la faculté de disséquer avec succès ces cadavres vivants : gandins, filles de plâtre, boursiers, cabotins, cabotines, poëtes de la brasserie des Martryrs (…) enfin tout ce qui grouille impunément dans Paris » (…) (Nos Petits Journalistes, 1865)
Le clan de ses ennemis devient vite une armée.
Après avoir fréquenté les établissements de bains parisiens, il débuta au Corsaire puis collabora à des feuilles plus ou moins éphémères. Mais c’est au Figaro que sa plume déploya à partir de 1857 la plus grande activité. Grand succès, sa chronique satirique s’intitulait « Les coulisses ». Il y dénonçait naturellement les ridicules de son époque et y trouvait complaisamment l’occasion de poursuites judicaires et de tracasseries diverses. Sa plume, faut-il le dire, était pointue : « Nous avons vu l’âge de fer, l’âge de plomb… Nous voici arrivés à l’âge du caoutchouc, celui où les consciences sont élastiques. » La vérité n’est jamais bonne à dire. Il entra encore au Matin, qu’il quitta pour fonder Le Nain jaune, ainsi que Le Club ou Le Jockey. Pour résumer, Aurélien Scholl fut l’incarnation du chroniqueur sous le Seconde Empire, celui que l’on surnomma « le neveu de Chamfort » et dont le Larousse laissa ce portrait synthétique : « Esprit encyclopédique qui ne croit à rien, se moque de tout mais réussit en tout. »
Également heureux en amour, ses amis rapportèrent ses « succès de pleurs » et ses « succès de cœur » - et dévoilent que, myope, il ne baissait jamais les yeux ! Mais un mariage avec la fille d’un riche brasseur de Londres en 1866 lui ouvrit les portes du Tout-Paris. Dès lors, son ironie cinglante portait d’autant plus que son statut n’étant plus contestable, ses articles étaient lus, forcément lus, et largement discutés. Le clan de ses ennemis devint vite une armée, leur humeur ne s’atténua guère. Mais que faire contre un homme à succès ? Incontestablement, « Il fut le roi du boulevard quand il y avait un boulevard » (Paul Ginisty).
Bien sûr, Scholl ne se contenta pas de la presse et s’attaqua au roman, à la nouvelle, au théâtre ou réunit ses chroniques les plus charmantes, lançant des livres qui ne sont sans doute plus beaucoup lus aujourd’hui. On y retrouve cependant son goût du style et cette pétulance qui le caractérise et il est juste de dissocier sa chronique de la littérature boulevardière qu’il publia à la fin de sa vie (il meurt à Paris le 16 avril 1902), même si cette dernière contient parfois des fragments sensés - « La gaieté de l’homme conserve la beauté de la femme » - ou des sentences que l’on croirait sorties de la bouche des « humoristes » gaulois de notre temps : « La fidélité conjugale, une terrible démangeaison avec interdiction de se gratter. »
Les œuvres d’Aurélien Scholl se firent légères, c’est vrai, à partir de 1873 et jusqu’à L’Esprit du boulevard (1887). C’est notamment dans cette part inégale que le compilateur Léon Treich récolta à pleines mains lorsqu’il composa L’Esprit d’Aurélien Scholl en 1925. Il serait cependant juste de retourner voir son premier livre, Lettres à mon domestique (1854), ou ces grands moments d’humour vache que sont ses tableaux des défauts et ridicules des Esprits malades (1855) ou cette impayable Foire aux artistes (1859). Ses contemporains ne s’y trompèrent pas qui troussèrent à son propos cette épigramme déférente : « C’est le mousquetaire Aurélien Scholl. / Au Palais-Royal, le soir, quand il passe, / Les arbres, courbant leur front avec grâce, / Lui disent : Bonjour, Monsieur Rivarol. » Si Scholl n’a jamais songé à écrire le Discours sur l’universalité de la langue française de son brillant prédécesseur, il n’aura pas démérité et, après avoir soutenu parmi les premiers l’Ubu de Jarry, pourrait encore s’enorgueillir en ces temps de grippe virtuelle d’avoir saisi l’essence de la médecine - « C’est le docteur qui fait la réputation de la maladie, et c’est la maladie qui fait la réputation du docteur. » De l’humoriste parfois le philosophe n’est pas étranger : Aurélien Scholl, qui s’est prudemment tenu éloigné de la politique, aurait pu, peut-être, produire quelque effet sur les foules en énonçant quelques sages principes. « En toute chose, ne prenez pas pour le démolisseur celui qui pleure au milieu des ruines. » Ainsi du satiriste : en toute occasion, gardez-vous de mépriser le rieur.
Égarés, oubliés Le roi du boulevard
février 2010 | Le Matricule des Anges n°110
| par
Éric Dussert
Journaliste à l’ancienne mode, ironiste et sceptique, Aurélien Scholl n’aura guère évité les anicroches au cours de sa carrière, mais se rallia toujours les rieurs.
Le roi du boulevard
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°110
, février 2010.