En plus d’officier depuis quinze ans dans le supplément littéraire d’El País, Ignacio Echevarria serait enclin à la polémique. Celui qui déclare sans ambages que les lettres latino-américaines sont « de complexité, de variété et de température moyenne bien supérieures à celle d’Espagne », s’est aussi fait connaître par le brûlot qu’il avait lancé en 2004 contre un livre édité par Alfaguara, l’un des actionnaires du célèbre quotidien. Le critique est avant tout l’un des passeurs, en Espagne, des lettres sud-américaines (Nicanor Parra ou César Aira…), et concernant Roberto Bolaño, l’un des premiers cités parmi ses amis. à tel point que l’écrivain l’avait désigné exécuteur testamentaire pour la publication de son œuvre posthume, une tâche dont il s’est acquitté auprès des éditions barcelonaises Anagrama, en publiant trois textes : Entre parenthèses, le roman 2666 et Le Secret du mal, un recueil de nouvelles.
Les éditions Christian Bourgois publient aujourd’hui en français Entre parenthèses, un recueil d’articles et de conférences rédigées par Roberto Bolaño entre 1998 et 2003. Que nous racontent ces textes sur leur auteur ?
Des éléments capitaux pour connaître et comprendre un écrivain : ce qu’il aimait lire, les auteurs qu’il appréciait et ceux qu’il n’appréciait pas, la façon qu’il pouvait avoir d’en vénérer certains et les raisons pour lesquelles il les vénérait. Son sens de l’humour, l’importance de certains épisodes de son existence, en particulier l’importance du Chili, celle de la ville de Blanes, dans laquelle il a décidé de s’installer. Sa vision de ce qu’est un auteur, de ce qu’est l’écriture, de ce que sont le roman, la poésie. Tout cela n’est pas rien.
Au point de considérer Entre parenthèses comme une « autobiographie fragmentée », comme vous l’écrivez dans la préface ?
Cela reste très relatif. Il y a, sans aucun doute, beaucoup de fragments autobiographiques dans le livre, et moi-même je souscris tout à fait à cette phrase de Ricardo Piglia qui me plaît beaucoup : « La critique est la forme moderne de l’autobiographie ». Mais il ne faut tout de même pas forcer le trait : cela risquerait de tromper le lecteur.
Dans un entretien qu’il nous a accordé en 2002 (cf. Lmda N°40), Roberto Bolaño dit que « l’un de (ses) défauts principaux, c’est que (ses) fictions se fondent trop sur sa propre expérience ». Dans quelle mesure son œuvre romanesque peut-elle apparaître comme une entreprise pour se raconter ?
De la même façon qu’on peut le dire de la plupart des narrateurs modernes, dont l’œuvre pourrait illustrer la phrase de Piglia : « Le roman est la forme moderne de l’autobiographie ». Sans aucun doute, c’était le cas pour Roberto Bolaño, qui ne s’est jamais aventuré à écrire une autobiographie à proprement parler. Lorsqu’un élément ou quelque chose de sa vie l’a intéressé, il l’a simplement fait basculer dans son œuvre et il en a travaillé les thèmes dans ses récits aussi bien que...
Dossier
Roberto Bolaño
Le chantier Bolaño
L’écrivain chilien a laissé après sa mort une constellation d’écrits plus ou moins achevés, qui précisent de façon étonnamment cohérente la cartographie d’un univers creusé par les abîmes moraux. En tant qu’exécuteur testamentaire de Roberto Bolaño, Ignacio Echevarría est le maître d’œuvre de la publication posthume de 2666. Rencontre avec une figure de passeur.