Camille de Toledo, au nom des siens
Mener un entretien avec Camille de Toledo s’apparente presque à de la spéléologie : l’écrivain prend très au sérieux les questions qu’on lui pose et profite de l’espace qu’elles ouvrent pour entraîner son interlocuteur très loin dans les différentes strates de l’écriture, de la pensée, de la vie, qu’elle soit intime ou universelle. Le langage est d’évidence pour lui une affaire sérieuse. Vitale même.
La voix parfois se fait ténue quand la parole s’approche un peu trop des gouffres intimes, de l’évocation des morts qui en peu de temps ont fait de cet écrivain en rupture, l’héritier de ceux dont il avait pensé s’affranchir. Pourtant, Camille de Toledo se livre pleinement, comme si l’injonction de penser juste et sans affèterie imposait de passer outre la pudeur, la douleur, le doute. Si ses essais ont la fluidité du coup de sabre, ses romans, jusqu’à aujourd’hui semblaient miner la fiction qui les légitimait. Une manière de dé-raconter les histoires afin de faire entendre le pouls d’un siècle trop rapide, trop peu humain.
Les morts soudaines de son ami, son frère, sa mère, l’agonie de son père ont imposé un retour du matériau autobiographique (certes encore brouillé, fragmenté, contourné) dans les Vies pøtentielles qui paraît cette année. Soit dix ans après l’attentat du World Trade Center qui désignait dans Archimondain, jolipunk la parenthèse fermée de l’Histoire, la date palindrome de la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989. Du 9/11 au 11/9, de la fin des idéologies à la fin de l’Histoire, la stèle était prête pour enterrer l’avenir de toute une génération. Une stèle qu’Archimondain, jolipunk et les romans à sa suite voulaient soulever et fendre, allant jusqu’à dénuder l’hétéronymie de l’auteur qui s’avançait nu dans l’épilogue du premier livre. Si l’œuvre vise à s’affranchir de tous les déterminismes (sociaux, culturels, familiaux) pour inventer sa propre existence, elle devra peut-être en passer par l’exploration de l’origine, par le devoir de raconter la vie des défunts. Jusqu’à faire le deuil d’elle-même ?
Cinéma, photographie, musique, romans, essais : la multiplication des champs artistiques que vous pratiquez rend difficilement percevable l’identité de l’œuvre en cours. Cet éclatement des productions artistiques n’est-il pas une sorte de masque qui s’ajoute aux hétéronymes ?
Je crois que l’hétéronymie a plus à voir avec l’idée que nous sommes perdus pour le présent. Nous ne voulons pas de sa réduction. Je l’ai vécu très violemment lors de mon premier livre publié : la sottise de la visibilité. L’idiotie de la réduction. Le jeu de massacre de l’exhibition qui dépouille ce qui est écrit du sens, de la recherche. J’ai dû faire pénitence. Pour échapper au jugement qui se porte sur ce qui apparaît de nouveau, d’inouï. Je me suis émietté. Je suis passé de l’inouï à l’inaudible, de ce que l’on croit avoir compris – la figure stéréotypée de la révolte – à ce que l’on rejette pour incompréhensible – le désir...