Gaston Galibert, vie de famille banale, décide, poussé par sa femme, de se faire passer pour mort : « Elle empoche l’assurance-vie, moi je repars de zéro ». Le contrat est simple. Cavale oblige, le voici devenu Marguerite Schwartz. Une transfiguration radicale qui brouille ses origines biologiques et culturelles. Sa fuite, qui le conduit de Paris à Buenos Aires, puis à Valparaiso, achève son parcours initiatique. Le premier roman d’Eloïse Cohen de Timary remet du mouvement dans les topiques. Le simple changement d’apparence agit comme un révélateur pour Gaston, qui s’émancipe des oppositions simplistes sur le genre. Il évolue avec curiosité, parfois maladresse, dans le milieu transsexuel de la capitale argentine. Il y rencontre des personnages aux destins tragiques, confrontés à l’exclusion, à la prostitution et à la violence, mais aussi « la première femme transsexuelle argentine à devenir professeur ». L’écriture percutante donne ici du corps à cette errance, volontiers teintée de fantastique : « L’ange roublard gloussait à petits hoquets, frappant le sol de ses sabots de boucs ». Un surnaturel suggéré, fait de signes et d’interprétations. En une phrase espiègle, l’écrivain trousse des portraits définitifs, qui fixent le pittoresque d’une allure ou d’une personnalité : « Ses lèvres ressemblaient à deux petites knackis trop cuites et laissaient entrevoir des dents couleurs jaune beurre », mais qui peuvent aussi avoir des fonctions prophétiques : « Son visage – fond de teint affaissé, bouche légèrement de travers, coutures rosies – avait quelque chose de cadavérique, effrayant et fascinant à la fois ». Tantôt romanesque, toujours sociologique, par moments immergé dans le polar noir, Babylone Underground décrit aussi avec virtuosité l’univers de la nuit lors d’une fête dionysiaque d’anthologie, où un rabbin sous marijuana s’abandonne corps et âme, sur fond de musique klezmer débridée. Une odyssée transformiste, sur le fond comme sur la forme.
F. M.
Babylone Underground
Eloise Cohen de Timary
Serge Safran éditeur, 211pages, 16 €
Domaine français Babylone underground
avril 2015 | Le Matricule des Anges n°162
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°162
, avril 2015.