Entre Moses Mendelssohn (1729-1786) le philosophe juif allemand, représentant des Lumières et théoricien de la tolérance et Felix Mendelssohn (1809-1847) le compositeur prodige, il y a un homme qui fut le fils de l’un et le père de l’autre : Abraham. Entre eux et Diane Meur qui vit à Berlin quand elle commence à s’intéresser à Abraham, il y a toute l’Histoire de l’Allemagne. Pourquoi s’intéresser à Abraham Mendelssohn-Bartholdy ? Parce qu’il est le fils d’un génie et le père d’un autre. Il est vrai que ce statut, d’un coup, interroge. Comment peut-on vivre cela ?
C’est donc par cette entrée qu’elle pense dérobée que Diane Meur met un pied dans la famille des Mendelssohn. Mais aussitôt, la romancière va ployer sous le poids d’une documentation extraordinaire, si fournie qu’un lecteur normal passerait sa vie à l’épuiser. De quoi refroidir les velléités de roman. C’est mal connaître l’auteur de La Vie de Mardochée de Löwenfels écrite par lui-même. Au contraire, cette manne qui s’offre à elle est comme un fleuve en crue que la romancière va aussitôt avoir envie de parcourir en le recouvrant de son écriture. Le projet épouse parfaitement ce qui la meut en littérature : complexifier les représentations du réel en prenant appui sur l’Histoire en déployant une saga familiale. Diane Meur est gâtée : les Mendelssohn se reproduisent avec une foi sans commune mesure. Dix enfants pour Moses, huit pour son petit-fils Alexander, cinq pour Philipp, etc. Nombre d’entre eux ne vivent guère longtemps, mais ceux qui survivent auront à cœur de se reproduire… L’arbre généalogique que la romancière multi-biographe tente de constituer prend une ampleur très envahissante. Au point qu’elle construit maintenant une carte où les noms sont associés à des couleurs pour la religion et d’autres encore pour indiquer le type d’activité pratiquée par chacun. Un travail faramineux quand on sait que certaines progénitures ont changé trois fois de religion en une vie. On suit donc autant l’histoire, parfois extrêmement romanesque, des Mendelssohn que la manière avec laquelle Diane Meur s’en dépatouille. Et c’est dans cette dimension de work in progress que le roman emballe son lecteur. Diane Meur joue avec lui, mêlant ici des bribes d’un discours qu’un amoureux « aux yeux qui ne sont pas bleus » lui tient, au récit de la vie de Moses ; l’interpellant ailleurs : « Bella Salomon, qu’on dit si chatouilleuse sur les questions de religion et censée ne pas savoir que sa fille et son gendre, à l’étage du dessous, ont abjuré la loi de Moïse (vous ne trouvez pas ça un peu invraisemblable ?) (…) » Du coup, et puisqu’on perd pied dans celle généalogie qui s’étend sur trois siècles et sur tous les continents, on finit par s’attacher plus à la romancière qu’à son sujet, à ses affres comme à ses réflexions qui éclairent d’autant mieux le projet que celui-ci se déploie sous nos yeux. D’une érudition diablement excitante, le récit en effet connecte entre eux tant de motifs que...
Dossier
Diane Meur
Traversée de siècles
octobre 2015 | Le Matricule des Anges n°167
| par
Thierry Guichard
En s’immergeant dans la saga des Mendelssohn, Diane Meur s’offre une place dans l’Histoire mondiale en même temps que dans son propre roman. Jubilatoire et impressionnant.
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