Sophie n’a plus un rond en poche. Enfin, si. Il lui reste 300 euros, moins les 260 qu’elle doit à EDF. « On ne pouvait rien me reprocher. Je payais mes factures. Je mangeais pauvrement. Oui, j’étais courageuse. » Cette fin de mois difficile en annonce d’autres : pas d’offres de piges, pas de cours à l’horizon… Elle qui vivait en couple, a connu « la Débâcle », mais il lui reste sa famille, qui est grande ! Ses six frères, qui ont « fait leur vie », furent la tribu de l’enfance, la fratrie autour de laquelle tournoyait la petite Sophie. « Si je suis l’affamée de la famille, je le suis pour eux tous, tant j’ai longtemps voulu croire que nous formions à nous sept l’humanité tout entière. » Cette humanité est désormais circonscrite à l’appartement, au frigo vide. Dans ce journal de bord de chômeuse affamée, une mise en scène théâtrale s’installe, où « s’interpolisse » la maman, intrusions répétitives d’une voix off matriarcale porteuse de sages conseils, bien loin d’imaginer sa fille sombrer dans le dénuement. Interviennent Hector, l’ami chômeur, obsédé sexuel, et Lochus le démon imaginaire, spécialiste en conseils tordus.
Sophie n’est pas Cosette, et le récit caustique part en délire et mots-valises, s’extrait du réel, de Pôle Emploi et des grottes administratives, devient matière. L’auteur malaxe le texte comme une pâte, met en scène ses tentatives (sac de métaphores sous le lit), toujours dans la jouissance, l’appétence, alors que le ventre lui se creuse. L’écriture joue du graphisme dans un jeu incessant où alternent récit classique, calligrammes, SMS, mails, dialogues théâtraux. Voilà le livre-objet, qui semble passer directement de la main de l’auteur à celle du lecteur, où s’incarnent dans un imbroglio ludico-tragique le chômage, la faim, les angoisses. Après La Condition pavillonnaire, Sophie Divry revient sur la scène littéraire avec un appétit gargantuesque.
Virginie Mailles Viard
Quand le diable sortit de la salle de bains
de Sophie Divry
Notabilia, 320 pages, 18 e
Domaine français Carnet d’abondance
octobre 2015 | Le Matricule des Anges n°167
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Carnet d’abondance
Par
Virginie Mailles Viard
Le Matricule des Anges n°167
, octobre 2015.