Malgré une entrée en matière cette fois un peu fastidieuse, un roman de Tracy Chevalier n’est jamais anodin. Nous sommes dans un marais noir de l’Ohio. Une pauvre famille s’ingénie à faire pousser des pommiers, en espérant en vivre avec dignité, en rêvant de la reinette à « goût de miel et d’ananas ». Pour le père opiniâtre et la mère alcoolique, l’entreprise finit en tragédie sordide où l’on s’entre-tue par accident. Mais pour le fils Robert, les arbres sont le fil rouge de son existence en même temps que du roman : à l’autre extrémité du continent américain, en Californie, il devient « l’agent arboricole » d’un botaniste qui lui fait récolter graines et plants de redwoods et de séquoias, de façon à les exporter vers l’Angleterre : « Plutôt que de laisser la végétation à sa guise, ils répartissent les arbres de manière qu’ils composent des œuvres d’art ».
C’est bien ce que compose Tracy Chevalier (née en 1962) en tissant des liens subtils entre les destins, les morts et les naissances, entre les filiations et les transmissions de savoir, au sein des cycles d’une nature âpre et grandiose. C’est ainsi qu’en progressant, le livre, absolument réaliste, voire naturaliste dans la tradition de Zola, jouant avec l’alternance des voix, devient de plus en plus prenant, en apparence aussi simple d’écriture que subtil de conception, jusqu’à l’ouverture vers l’avenir plus lumineux d’une nouvelle génération, comme celle des arbres, même s’ils dépendent d’une plus vaste temporalité.
Avec son précédent roman de mœurs, La Dernière Fugitive, la romancière complète un diptyque attachant : celui de la colonisation du territoire des États-Unis. Il s’agissait de la question de l’esclavage, il s’agit ici de la liberté créatrice des Américains.
Thierry Guinhut
à L’ORÉE DU VERGER
DE TRACY CHEVALIER
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anouk
Neuhoff, Quai Voltaire, 336 pages, 22,50 e
Domaine étranger À l’orée du verger
juillet 2016 | Le Matricule des Anges n°175
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°175
, juillet 2016.