Ils ne s’appellent pas Jules et Jim, mais Oscar, Julien et François. Nous sommes au XXIe siècle, à Paris, du côté de la place Clichy dans un roman faussement léger, mené à un rythme d’enfer. Pas très loin de Truffaut, à ceci près que l’histoire est contée, non par les hommes, mais par elle, l’héroïne, imprévisible feu follet. Elle s’appelle Cléa et travaille comme animatrice dans un Ehpad. Elle va d’un garçon à l’autre, sans qu’il soit vraiment sûr qu’elle en aime aucun tout à fait – et c’est ce qui la mine.
Volage, Cléa ? En vol, plutôt : du désir plein la tête et pas envie de se poser. Pas question de s’installer avec Oscar, son vieux compagnon, son « pilier », sa « fondation » – qui, lui, ne rêve que de ça. Julien, séducteur inconstant, lui fait baver des ronds de chapeau. Quant à François, rencontré via Messenger, il cache mollement son jeu et Cléa ne tient « pas plus que ça » à savoir ce qu’il en est. Elle est sage, Cléa. « Je sais que j’y perdrais. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs, mais elle l’est de loin. C’est ça, mon trip. Qu’il reste inatteignable ». Elle est folle, aussi, bien sûr. Tous les personnages d’Anna Dubosc le sont. Mais elle est du côté de la vie, Cléa, comme le vieux Gérard, qui dégoise façon Reiser et jure qu’il a envie de mourir.
Avec Nuit synthétique, son cinquième roman, l’auteure du magnifique Le Dessin des routes (2014) et de Koumiko (2016, prix Hors Concours), réussit un tour de force : Anna Dubosc écrit le désir d’un point de vue féminin, dans un langage cru et brusque qui n’est pas tout à fait celui de son héroïne ni le sien – les mots du sexe sont masculins –, et cet écart, que le lecteur mesure, non sans sourire parfois, fait toute la beauté et le trouble de ce récit initiatique, nerveux et déjanté, qui sent le bitume et la liberté. Depuis Spécurel (2010), son premier livre, tous les textes d’Anna ont été édités par Rue des Promenades, petite maison indépendante et culottée, créée par Charlotte Bayart-Noé.
Catherine Simon
Nuit synthétique, d’Anna Dubosc
Rue des Promenades, 176 pages, 17 €
Domaine français Désirs contrariés
novembre 2018 | Le Matricule des Anges n°198
| par
Catherine Simon
Un livre
Désirs contrariés
Par
Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°198
, novembre 2018.