Initiée en 2012, l’Histoire des traductions en langue française voit son programme achevé avec la publication, sous la direction de Bernard Banoun, Isabelle Poulin et Yves Chevrel, d’un quatrième et ultime volume consacré aux traductions en français du XXe siècle. Elle avait débuté avec les traductions des XVe et XVIe siècles, s’était emparée des XVIIe et XVIIIe siècles (2014) et du XIXe siècle (2012) avant d’aborder l’ère de l’industrialisation maximale que nous venons de connaître. Au-delà de l’inévitable, parce que massive, importation de produits éditoriaux des États-Unis, ce nouvel ensemble met en évidence d’autres faits vrais de cette colossale activité intellectuelle des cent dernières années. À commencer, par exemple, par l’effort concomitant d’introduction des textes issus de langues rares ou non-latines, ou bien encore par ces « ajustements linguistiques » qui valent intégrales retraductions de corpus entiers pour des raisons variées : commandées par la nécessité de retrouver l’intégrité d’un texte et son souffle autrefois malmené, elles le sont parfois aussi par la simple nécessité commerciale d’éditeurs soucieux de renouveler pour quelques années leur patrimoine négociable.
À travers le ballet incessant des textes, toutes disciplines et tous champs linguistiques confondus, seul un travail d’équipe pouvait retrouver le fil d’une histoire qui se tisse chaque jour, et parfois dans la solitude, comme ce fut le cas, célèbre désormais, d’Odette Lamolle donnant, sa vie durant, une leçon personnelle de l’œuvre complète de Joseph Conrad, pour son seul plaisir… Alors que les traductions et retraductions de Sigmund Freud, des polars américains de l’après-guerre ou de Dostoïevski ne cessent de poser questions, Bernard Banoun, co-directeur du projet et traducteur de l’allemand lui-même nous explique les grandes tendances de la traduction au cours du XXe siècle.
Ce volume clôt une série commençant par le volume XVe-XVIe siècle. Vous abordez un XXe siècle riche de mutations. Quelles sont les principales ?
La période prise en compte va de 1914 à 2000, en débordant parfois sur le XXIe siècle. Une première mutation est celle de notre regard sur cette période : nous l’envisageons comme une histoire alors que cette période nous est plus familière que les précédentes et est pour partie histoire de notre temps présent. Cela explique sans doute les liens forts entre histoire des traductions et politique ou géopolitique, par exemple dans des chapitres tels que ceux sur le théâtre et sur les fictions en prose. Quant aux mutations internes à l’histoire des traductions, elles portent sur le nombre de traductions publiées, sur l’élargissement spatial et sur le recul temporel. En effet, on assiste, à partir des années 1960, et plus encore 1980, à une augmentation du nombre de titres traduits. Les éléments bibliométriques fournis par Gisèle Sapiro dans le chapitre I en rendent compte. Cela veut dire aussi que, moins encore que pour les...
Entretiens Traduire, disent-ils
mai 2019 | Le Matricule des Anges n°203
| par
Éric Dussert
Voici l’ultime volume de la colossale Histoire des traductions en langue française. Plaidoyer pour cette activité destinée à bousculer notre langue.
Un livre