Patrice Robin : témoigner du monde
Il s’appelle Luco, il s’appelle Victor, il s’appelle Moïse ou Matthieu : quel que soit le livre dans lequel il s’exprime, le narrateur des premiers romans de Patrice Robin change de prénom mais reste l’alter ego de l’auteur. Mais Le Voyage à Blue Gap (2011), Patrice Robin a abandonné le masque transparent du narrateur fictionnel. Le « je » est celui de l’auteur lui-même et conduit une langue délicate et attentive au monde qui l’entoure. Mon histoire avec Robert qui vient de paraître s’inscrit à la croisée des deux courants : on y voit Patrice Robin revenir sur un parcours d’écrivain qui n’aura pas été sans peine. On le voit trouver dans le cinéma et la littérature les voies pour devenir celui qu’on a toujours voulu être, à des lieues de l’origine sociale d’où l’on vient.
L’homme est né à Beaulieu-sous-Bressuire en 1953. Il a deux ans quand ses parents acquièrent une quincaillerie à Mauléon, 17 kilomètres plus à l’ouest où la famille déménage, dans ce même « département où coulent deux rivières » (Graine de chanteur) : les Deux-Sèvres.
Il y passera toute sa jeunesse jusqu’à 18 ans. Avant d’être quincaillier, son père fut forgeron le temps de remplacer son frère parti à la guerre et « comme il avait des parents indélicats quand le frère est rentré, ils l’ont viré ». Quand l’enfant naît, le père « se louait dans les fermes », la mère était couturière. La quincaillerie prendra une importance considérable dans l’œuvre à venir : présente dès le premier roman, elle symbolise la source sombre de l’écriture. Si le grand-père paternel est forgeron, le grand-père maternel est un petit négociant en bestiaux qu’il vend sur les marchés. Sa femme possède un café de village qui accueille parfois des mariages, « et qui marche très bien ». Les deux familles vivent dans le même « pays », à une vingtaine de kilomètres l’une de l’autre…
Chaque jour le gamin traverse la quincaillerie pour rentrer chez lui, puisque la famille habite au-dessus du magasin : « il me semble que l’on retrouve ça chez Annie Ernaux, chez Jean Rouaud. Le magasin est toujours plein, ce sont les Trente Glorieuses : les paysans s’équipent. C’est une quincaillerie de détail et parfois je me demande si je ne suis pas autant attaché aux détails à cause de cet univers. J’ai conservé des souvenirs des conversations, du brouhaha perpétuel, des rires, des engueulades. » Non contents d’y passer la majorité de leurs journées, les Robin font aussi les foires de la région. Une jeune femme, Jacqueline, que l’on retrouve dans Le Commerce du père, tient la boutique quand les parents partent trois ou quatre fois par semaine en camion sur les différents marchés. Le fils unique suit ses parents pendant les périodes de vacances : « je n’aimais pas le magasin, mais j’adorais les foires : on partait à 6 heures du matin, on sortait la marchandise et on allait manger un sandwich à 10 heures. Les clients venaient entre 11 heures et 13 heures et on remballait ensuite la marchandise avant d’aller...