Flotte sur le vide de la mer africaine comme sur l’étendue de ta vie. Dis-toi et redis-toi : J’ai bien fait de partir ! Dissous ta peur dans l’écume, noie tes doutes un par un, jette aux poissons tes pires souvenirs… » La jeune femme qui monologue ainsi, calée au fond d’une barque en partance clandestine pour « cette terre où le travail abonde, petite Amérique promise aux familles » en quête d’une vie meilleure, s’appelle Guiseppa La Fortuna. Elle est européenne, née en Sicile. Son « Amérique » ? La Tunisie.
Nous sommes en 1901 et ceux qui payent les passeurs pour rallier l’Afrique du Nord, viennent d’Italie, de Malte ou de Navarre. Avec les mêmes angoisses et espérances que les « migrants » d’aujourd’hui – mais sans risquer la mort, le mépris ni la haine. La Fortuna n’est cependant pas le énième récit ou roman retraçant le calvaire d’une patera – sujet devenu un genre littéraire, qui se développe aussi vite que nos frontières se ferment. Il fait le portrait d’une femme, plutôt mal partie de naissance puisqu’« enfant naturelle » abandonnée aux portes d’un couvent de Sicile, à la fin du XIXe siècle. Le temps de la traversée, de Porto Empedocle au port tunisois de la Goulette, la jeune Guiseppa fait défiler sa vie.
Dès l’enfance, livrée à la rude poigne des bonnes sœurs, la petite bâtarde apprend à penser seule, à décider… et à jardiner. Ce qui la sauve. Comme la sauvera son amour pour son mari, le beau Francesco – dont la famille, étouffoir débectant, la pousse à fuir. La Fortuna est un hymne à la vie, au plaisir, au courage, une lettre d’amour à la Sicile, « frappée de tous côtés par la beauté et le malheur ». Le patriarcat y est décrit sans fard, beau-frère libidineux et mama tyrannique compris… Édifiant, ce premier roman est un joli voyage dans l’Italie d’hier, vue par les yeux d’une gueuse, devenue maîtresse-femme.
C. S.
La Fortuna
Françoise Gallo
Liana Levi, 144 pages, 15 €
Domaine français La Fortuna
octobre 2019 | Le Matricule des Anges n°207
| par
Catherine Simon
Un livre
Par
Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°207
, octobre 2019.