Dans son nouveau roman, la jeune Loulou Robert (26 ans) explore la fragile sensibilité d’une femme sous influence, tout entière vouée à aimer un homme rencontré à la fac où elle vient de s’inscrire. Elle le voit, décide de l’aimer, l’aimera toute sa vie et ce jusqu’au sacrifice, jusqu’à la folie. Voilà pour l’histoire qui en comporte d’autres serties au cœur de ce leitmotiv qu’est devenu le verbe aimer (histoire d’un inceste, d’une place au monde refusée, d’un enfantement miraculeux, de l’homme aimé qui ressemble beaucoup au père de l’auteur…). Mais ce qui saisit dans ce roman, c’est avant tout son écriture : tendue, à la respiration courte, précipitée, comme s’il s’agissait de tout dire dans l’urgence de pouvoir encore le faire. La femme qui parle se cogne sans cesse au réel qu’elle voudrait rompre, à sa jalousie qu’elle aiguise faute de trouver en retour de son amour fou, la folie d’un amour réciproque. Le regard des autres (son amour, M, évolue dans le monde du journalisme) la salit, la rabaisse, lui désigne, selon elle, sa place dans la société qui tiendrait du placard, de la tapisserie ou de la poubelle. Elle s’insurge, crie, pleure, boit. Elle est insupportable. Elle veut aimer M comme d’autres aiment Dieu. Loulou Robert écrit à l’instinct. Ses phrases sont des scalpels qui vont chercher le nerf pour le mettre à nu. Roman de la cruauté, au sens où l’entendait Artaud, son écriture dévoile sans faillir la profonde humanité meurtrie d’une femme niée dès l’enfance et dont la ferveur dérange. On hésite entre la plaindre ou l’admirer, la repousser ou l’embrasser. D’autant qu’on reconnaît en elle quelque chose que l’on porte en nous : cette fêlure entre nos rêves et notre vie qui parfois se transforme en un gouffre où l’on sombre.
T. G.
Julliard, 260 pages, 19 €
Domaine français Je l’aime, de Loulou Robert
octobre 2019 | Le Matricule des Anges n°207
| par
Thierry Guichard
Un livre
Je l’aime, de Loulou Robert
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°207
, octobre 2019.