C’est une déflagration. Une déclaration d’amour. Un feu d’artifice de tendresse. Quand la pudeur ne sert qu’à nommer les choses de la vie, leur donner sens. D’emblée, le narrateur prend des précautions mais avertit qu’il se moque bien des quand dira-t-on. Oui il a 50 ans, il est professeur de lettres, oui il est célibataire, peut-être même vieux garçon, et oui il a décidé de vivre avec sa vieille maman, de veiller sur elle, d’embellir ses derniers jours : « Depuis quinze ans, je la soigne, je la change, je la lave, je l’habille. (…) Dans ces moments-là, ma mère prend ma main. Elle sourit tristement. Nous sommes tous les deux gênés et en même temps heureux. » Souvent, ce genre d’histoire a tendance à dégouliner de pathos et d’auto-apitoiements. Rachid Benzine, lui, a trouvé la parade : une écriture limpide, débarrassée de tous chichis et autres pleurnicheries, qui touche au plus vrai, au plus fort. Il rend grâce à cette femme, immigrée, veuve, qui a élevé seule ses cinq enfants, cette mère qui ne sait pas lire mais qui aime entendre son fils lui faire la lecture, toujours le même livre, La Peau de chagrin de Balzac. Pourquoi ? Mystère… Islamologue et enseignant, Rachid Benzine déjoue les afféteries coutumières des premiers romans et met en récit le destin d’une femme qui dut se battre contre une foule d’humiliations quotidiennes. Il livre quelques-uns de ses souvenirs cuisants, de ceux « qui disent le mal de vivre des classes populaires, des immigrés et de tous les damnés de la terre. » Alors, nous lecteurs, nous nous faisons petits, tout petits et humbles, devant tant de dignité.
Martine Laval
Ainsi parlait ma mère, de Rachid Benzine,
Seuil, 92 pages, 13 €
Domaine français Lettre à la mère
février 2020 | Le Matricule des Anges n°210
| par
Martine Laval
Un livre
Lettre à la mère
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°210
, février 2020.