Sur les chemins de Sébastien Lapaque
Le nouveau roman de Sébastien Lapaque a mis du temps à voir le jour. Et l’on devine en lisant ses deux cents premières pages, qu’il n’est pas né sans douleur. Ce monde est tellement beau nous montre Lazare (dont le prénom est hérité d’un jeune général de la Révolution, natif de Versailles), quadragénaire professeur d’histoire-géographie sombrer dans ce qui pourrait ressembler à une profonde dépression. Béatrice, sa femme, l’a quitté pour prendre des vacances, pense-t-il, définitivement en fait, découvre-t-il. Sentimental et cultivé (deux tares pour l’époque), ce départ et l’aveu au vitriol que lui fera sa belle-sœur, dévoilent à Lazare la vacuité de sa vie. Une vie tout entière consacrée à la recherche du bonheur telle que l’impose la société occidentale au XXIe siècle. Si le sol se dérobe sous ses pieds, le plafond de verre au-dessus de lui pèse de plus en plus fort. Meurtri par une époque déshumanisée, formatée par les « laborantins » de tout poil, scientifiques ou économistes, dont l’idéologie sans pensée déifie une modernité sans âme, Lazare voit le ciel hivernal de Paris amonceler de noirs nuages. Ce qui le tient en vie alors est une trinité fragile : le désir, symbolisé par Lucie une épatante voisine, l’amitié de Walter et Saint-Roy tous deux fins observateurs du monde tel qu’il va mal et la colère qui donne aux pages de la première partie des accents de pamphlet. C’est le Sébastien Lapaque du contre-journal qu’on retrouve là, l’écrivain au trait tranchant, le mousquetaire à la botte qui fait mouche.
Lazare traverse l’hiver en peaufinant sa définition de « l’Immonde », en lisant Shakespeare et en découvrant grâce à Lucie que les moineaux de Paris sont en train de disparaître. La solitude incite à l’autocritique : « Mes années vides n’avaient connu d’autre accomplissement que leur écoulement. » Et Sébastien Lapaque nous tend un miroir…
La mort brutale de Saint-Roy met Lazare au bord du gouffre, une douleur immense pour seule compagne. L’amitié va dès lors lui ouvrir une voie de salut. On n’est pas sûr de vouloir suivre l’écrivain sur le chemin qu’il nous montre : celui d’une foi chrétienne lumineuse et rédemptrice. Mais la troisième partie du roman, qui nous ouvre ce chemin, nous dépose en Bretagne, chez un amoureux des arbres qui va accueillir Lazare. Ce retour à la nature, rendu avec une épaisse matérialité qui évite l’écueil de l’exotisme, replace l’homme au cœur des choses, et non au-dessus. Et si la critique de l’Immonde pouvait séduire, ce retour à l’essentiel convainc. Lazare est sauvé, nous pas encore mais peut-être, le livre achevé, voyons-nous plus intensément combien les chemins forestiers nous sont plus riches que les grandes autoroutes du consumérisme et de la finance. Pas sauvés, mais bien plus en vie. Ce n’est pas rien.
T. G.
Ce monde est tellement beau
Sébastien Lapaque
Actes Sud, 324 pages, 21,80