Le Faussaire de Salt Lake City. Meurtres et manigances chez les Mormons
Ça n’est pas pour sa poésie que Mark William Hofmann restera dans les annales. Il a pourtant écrit un assez bon poème d’Emily Dickinson. Cette dernière, disparue depuis 1886, n’en a évidemment rien su, mais tous les experts de son œuvre. Jusqu’à ce bibliothécaire de la ville de la poète, Amherst dans le Massachussetts, dindon de l’escroquerie relayée volontairement par Sotheby’s, maison sans scrupules. C’est ce que démontre l’enquête de l’Anglais Simon Worrall, passionné par un faussaire hors norme, le plus grand sans doute de l’histoire des USA.
Retraçant la quête de la vérité d’une poignée de spécialistes convaincus finalement de la fraude poétique, Worrall est parti sur les traces de Mark Hofmann, né le 7 décembre 1954 à Salt Lake City, berceau de la religion mormone, dans une famille inspirée par l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, puisque c’est le nom de l’affaire. Élevé selon ses dogmes, amateur de chimie, de philatélie et de numismatique, le jeune Mark dispose tôt de son viatique de collectionneur et d’artificier… Désireux de nuire à son église, dont il est en secret apostat, il prétend en 1980 avoir trouvé dans une Bible King James du XVIIe siècle un papier gommé plié, portant un manuscrit de Joseph Smith, l’inventeur du Livre de Mormon. L’église lui achète 20 000 dollars, avec lesquels il devient marchand de livres rares et acquiert une excellente réputation. Rapidement, il fabrique d’autres documents historiques, souvent en relation avec l’honnie église mormone, comme la Lettre de la salamadre dans laquelle, et c’est le cas de le dire, les experts ne virent que du feu… Hofmann veut saper les fondements de l’église en faisant sa pelote. Durant les années 1980, il produit à tour de bras. L’embrouillamini est total : malin comme un singe, il mêle à ses faux des originaux authentiques. De Mark Twain à George Washington, sans oublier le Serment d’un homme libre (1639), le premier document imprimé sur le sol américain, il produit des pièces de toutes les célébrités historiques du pays. Y compris de la poète Emily Dickinson dont il tresse quelques vers point trop mauvais…
Mais son mode de vie trop fastueux le pousse au crime. Fabriquant trois bombes, il tue le 15 octobre 1985 un collectionneur, puis la femme de l’employeur de ce dernier, menant la police à soupçonner les mécomptes de l’entreprise financière Sheets. Le 16 octobre, Hofmann est lui-même blessé par sa dernière bombe qui explose dans sa Toyota. Deux mois plus tard, il est arrêté. En 1987, il est condamné à la prison à perpétuité pour double meurtre, fraudes et vol par tromperie. Digne sujet d’un roman, il nous vaut, grâce au reportage de Worrall, un récit passionnant où l’on apprend à quelle date apparaît le crayon à mine de graphite, comment l’on détecte les faux ou comment Sotheby’s prend ses acheteurs pour des balbuzards. Et puis il évoque la vie de la délicieuse Emily Dickinson, les grandes contrefaçons, la graphologie et même l’autohypnose…
C’est, en somme, un thriller savant pour le prix d’un reportage qui prend place après L’Homme qui aimait trop les livres d’Allison Hoover Bartlett (Marchialy, 2018) et le SNML. Anatomie d’une contrefaçon (Zones sensibles, 2020) au cœur de la bibliographie des magouillages livresques les plus délectables. Parce qu’il faut beaucoup de talents pour faire un faussaire réussi.
Éric Dussert
Le Faussaire de Salt Lake City.
Meurtres et manigances chez les Mormons
Simon Worrall
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Peronny,
Marchialy, 350 pages, 22 €