J’avais accepté d’attendre dans la voiture pour ne pas faire d’histoire » : c’est Quentin qui parle, un collégien qui, pour avoir roué de coups un camarade, fait l’objet d’une « mesure conservatoire » d’interdiction d’accès à son établissement. Comme Vincent Almendros est prof de français dans le civil, il connaît la procédure que son narrateur, qui doit être en troisième puisqu’il a 14 ans, explique à sa cousine Chloé. Une sixième, élève modèle et dans le privé catho. « Sans m’énerver, je lui expliquai qu’il fallait attendre le conseil de discipline pour savoir si je serais exclu. Pour l’instant, ils appelaient ça une « mesure conservatoire ». » L’auteur lui aussi, en un sens, attend avant de « faire une histoire ». Sous la menace est son quatrième roman chez Minuit, et son écriture a dans celui-ci comme dans les autres un air de famille avec celles de Gailly, Toussaint, ou mieux encore Yves Ravey avec qui il partage la même exigence d’une absolue sobriété, laquelle demande d’autant plus de temps qu’elle est nette, archi-précise, sans une once de gras. D’où un titre tous les quatre, cinq ans ; le précédent, Faire mouche, était paru en 2018.
Lors de la sortie de Ma chère Lise en 2011, Almendros confiait à la revue Zone littéraire : « j’aime beaucoup les ellipses. Il y a dès lors beaucoup de choses à combler pour le lecteur ». Aussi, dès l’incipit, le lecteur ne sait pas pourquoi Quentin ferait un problème s’il accompagnait sa mère qui est en train d’acheter de quoi fleurir la tombe du père. Mais l’on apprend vite que le conseil de discipline est lié à ce père mort dans un accident automobile quand le garçon n’avait que 8 ans. La victime de Quentin est un élève harceleur qui l’a surnommé « le monstre » une fois de trop – pas seulement à cause de son acné : « Torotra Ramanalarahona était allé plus loin en affirmant devant tout le monde, avec une sournoiserie féroce, que mon père avait préféré foncer droit dans un arbre parce qu’il me trouvait trop laid ». D’où le déchaînement de violence de l’orphelin. Un week-end avec sa mère chez les grands-parents paternels, en compagnie aussi de la cousine Chloé, est l’occasion pour Quentin d’un retour au calme un peu morne. Mais bientôt les tensions montent, un malaise diffus, ou suspendu comme un nuage, qu’Almendros installe par les dialogues, par le flux de conscience adolescent du narrateur où se mêlent un ennui consenti (jouer au Scrabble avec mémé), des troubles pubères au contact de la cousine pourtant trop jeune, et des intérêts d’enfant : le perroquet Charles qui répète « Tu parles, Charles ! », la chère vieille cabane dans l’arbre, ou encore une promenade avec Chloé pour le rituel d’aller « voir le cheval ».
Au reste, il y a comme dans les autres romans d’Almendros tout un bestiaire d’animaux vivants ou morts. Un procédé très étonnant, dans la mesure où ces bêtes ne symbolisent rien à proprement parler. Elles contribuent on ne sait trop comment à l’ambiance, et à une narration aussi intrigante qu’elle est pourtant sans mystères. Donc un perroquet, un cheval, mais aussi un « vol nuptial » de fourmis ailées en avance sur l’été (on est en mai), un grand-duc, le chien méchant du voisin, le chat de la maison. Plus un banal et inquiétant poisson sur le grill (« L’œil, lui, était devenu étrangement blanc »), et un passereau crevé que la fillette enterrera, clin d’œil peut-être au film Jeux interdits. « Il était dans un état de décomposition déjà bien avancé car sa tête à nu paraissait recouverte d’une sorte de cire translucide et il n’avait plus que deux minuscules trous sombres à la place des yeux. »
Il y aura des malentendus, des querelles, pour le garçon la tentation encore de la violence. Et surtout un orage qui vient comme éclairer et laver son deuil. À la fin du livre, on voit Quentin en paix interrompre à regret un puzzle – un animal encore, un toucan. Tout n’est pas en ordre, mais il aura réassemblé quelques pièces de sa vie. Il a grandi, il hérite d’une veste, « une canadienne » qui appartenait à son père. « Je l’ajustai au mieux, en ramenant les pans vers l’avant. Je sentais son poids sur mes épaules. » C’est un poids qui ne pèse plus.
Un roman beau et profond. Et à faire découvrir pourquoi pas à des élèves… de troisième.
Jérôme Delclos
Sous la menace
Vincent Almendros
Éditions de Minuit, 138 pages, 17 €
Domaine français Un poids sur les épaules
janvier 2024 | Le Matricule des Anges n°249
| par
Jérôme Delclos
Avec son jeune narrateur dans la tourmente d’un week-end, Vincent Almendros signe un roman d’apprentissage tiré au cordeau.
Un livre
Un poids sur les épaules
Par
Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°249
, janvier 2024.