Jean-Marc Tisserant est un écrivain qui aime à caresser les mots. Sa prose pourrait fort bien être retenue pour servir de dictée dans les collèges. C’est une langue qui sait se tenir, vêtue de quelques rares parures qui cherchent à la rendre distinguée, affublée de nombreuses références (Flaubert souvent, Schopenhauer bien sûr, Hugo hélas…), et parée de multiples petits chapeaux pointus, circonflexes d’un subjonctif qui n’ait pas souvent à pareille fête. Du coup, son univers est pour le moins guindé. La première phrase de la nouvelle Le Départ (« C’est la mort dans l’âme que je suis sorti fumer un Wilde Havana sur la pelouse ») nous laisserait croire un moment que ses personnages grimés en riches bourgeois ruraux (veste et pantalon de velours, livres précieux éparpillés dans l’immense demeure et feu de cheminée) ne sont rien d’autre que les éléments d’une parodie. Mais il n’en est rien. Jean-Marc Tisserant cultive son amour du siècle précédent en nous y projettant ; ses nouvelles sont des îlots d’anachronisme où il faut avoir la foi pour s’y faire un nid.
Dans le même registre l’image du père qui chaque matin, au petit déjeuner, se coupe une tranche de lard en feuilletant De Quincey pourrait entrer dans le Guiness des records au chapitre des clichés.
Et le récit frôle presque le propos raciste lorsque le héros de Terrenoire et sa compagne arrivent dans un restaurant chinois. Comment croyez-vous qu’ils sont accueillis par le « Chinetoque » ?
Simplement par un admirable : « Bonsoir honorables clients » ! Paroles de bandes dessinées du bon vieux temps des colonies…
Il y aurait eu pourtant matière à s’enthousiasmer à lire ces huit nouvelles. La structure et l’atmosphère de Terrenoire laissent à penser que le projet de l’auteur dépassait de bien loin le piètre résultat, gâché par de lourdes maladresses (notre héros poursuivi par la police sur les toits de Paris a le temps de remarquer le « marbré des nuages chthoniens ») ; de même que la fin ridicule de Prosper détourne in extremis la nouvelle de son cheminement royal vers la réussite. Reste la langue…
Terrenoire
Jean-Marc Tisserant
La Différence
217 pages, 98 FF
Domaine français Dorures et lambris
février 1994 | Le Matricule des Anges n°7
| par
Thierry Guichard
Un livre
Dorures et lambris
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°7
, février 1994.