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Domaine français La chronique du campagnard

février 1994 | Le Matricule des Anges n°7 | par Dominique Sampiero

Y a-t-il un style, une écriture féminine ? La question fait couler de l’encre. Loin des querelles, des débats de modes ou de chapelles, voici trois livres de femmes, trois attitudes. D’une parole à l’autre, une parole autre.

La Nuit spirituelle

Marcher sur la Terre

Belles Joues les géraniums

Je suis un être inversé », affirme Lydie Dattas, tout au long des vingt-cinq pages de La Nuit spirituelle. Ou plus exactement, un être condamné à vivre l’envers de toute spiritualité, de toute connaissance. Mais Platon se retournant dans la caverne, vers la lumière des choses, la connaissance n’est-elle pas inversion ?
« J’écris d’un lieu désertique où la pensée n’a jamais soufflé, où elle ne soufflera jamais : faite pour la nuit, je ne découvrirai aucune étoile, aucun monde inconnu, je ne conquerrai aucun sommet, ne créerai aucun langage, car tout ce qui m’appartient est mort et mon royaume désert comme le plaisir n’est que néant. »
Vingt-cinq pages d’un chant brûlant, d’une prose irradiante, pour clamer la faute de la chute originelle, faire corps avec elle : Lydie Dattas exalte la révélation de la culpabilité d’Eve, et à travers elle, de toutes les femmes, et du coup refuse de la refouler, de s’en libérer, dans un texte d’une puissance noire, lumineuse, un pur requiem. Une langue de la négation de la langue, c’est de cette beauté-là qu’il sagit, parfois froide, implacable, « Je m’efforcerai de rendre la malédiction si profonde et si sombre qu’elle en soit belle », dans un phrasé ample, sans fioriture, à l’extrême limite du dépouillement, mais scandé, reprenant le motif tout au long du livre, pour lui donner force : la nuit et le néant ainsi accueillis deviennent la chair d’une parole. Ce qui est dit là, avec peu de moyens et dans une conviction, une simplicité désarmante, place cette poésie dans un souffle nouveau, une langue qui n’attire pas l’attention sur elle, mais qui rend lumineux ce qui l’entoure : le néant.
C’est de cette même nuit originelle, « en tout lieu régnaient la nuit le rêve / en sa première forme », que monte l’écriture d’Amina Saïd. Les vers sont courts, acérés comme des pierres, proverbes presqu’haïku, « le temps est ce visage / réfugié en l’autre rive » pour délivrer la bouche des mots de la mort, repousser le jour du ciel, et donner au poème cette matité des poteries arabes, leurs courbes rugueuses.
C’est la longue marche des peuples nomades, avec les rires, les fêtes, les peurs et les cauchemars, peuples torturés, spoliés, à la recherche d’une terre nouvelle « hommes femmes enfants / creusés de solitude / dans leur chair brûlent / des arbres entiers », longue marche mot à mot, pour revivre l’histoire, dans la folie des images, la solitude. Ou tout simplement soi, « je quitte un désert / pour un autre ».
Un chant insoumis traverse le livre, avec sa violence, sa force gorgée d’incendies : cette voyageuse cisèle des phrases rondes, circulaires, puis tout à coup sèches, lapidaires. C’est une poésie qui s’engage à perpétuer l’errance nomade, celle de l’homme, celle du sens, dans la quête du feu et du sable. Un long poème traverse le livre comme un éclair et s’élance vers cette dernière page qui rejoint le livre de Lydie Dattas : « je suis le lieu où je suis tombé / le lieu d’où je viens / celui où je vais ».
De l’air. En réclame-t-elle ? Ou va-t-elle en parler ? L’un et l’autre. Josée Lapeyrère, psychanalyste, écrit avec, sur, et dans l’air. Dans l’épreuve de l’air, sa fragilité et ses rites. Cela ne veut pas dire légèrement, mais avec légèreté.
Le livre, Belle Joues les géraniums, s’ouvre sur ce chapitre donc : de l’air. Puis viennent d’autres clés : Une adresse, Ecrire une image, Every day, Objets perdus, Le Livre, Dans la Forêt obscure, Du Rythme des fontaines, comme des petits mondes rassemblés bout à bout. Mais ce qui vient est tellement léger, volage, qu’on passe à côté, on le frôle, ce serait ça en quelque sorte, un poème du frôlement, un poème à côté des choses. Mais tout contre elles quand même. Dans leur proximité. Jusqu’à entendre leur silence, leur battement, mais y-a-t-il un battement dans les choses, oui, Josée Lapeyrère l’entend, « vous le voyez je suis très bien je suis / entre deux noms propres j’écoute / les battements d’une porte qui s’ouvre ».
Avec des ciseaux, du fil, une aiguille, elle écrit comme une couturière « le fil on me l’a donné / il était sur la table avant que j’arrive ». C’est une broderie minutieuse, avec ses fraîcheurs, sa naïveté retrouvée du signe, tout y passe : un portrait, un paysage, des initiales.
« Quand on consent à la légèreté on risque / de devenir volage / de se dissoudre dans un vol est-elle rare cette / absolue fragilité cette passe / dans le passage ». Oui, car c’est bien d’un absolu qu’il s’agit, une fragilité enfouie dans le monde, dans les choses, comme si les trous, les blancs du texte rendaient l’instant plus léger, plus respirable, réconcilié avec sa vacuité. C’est bien d’une couturière qu’il s’agit : Josée Lapeyrère met des boutons au manteau des jours. Pour le laisser entrouvert.

La Nuit spirituelle - Marcher sur la Terre - Belles - Joues les géraniums
Lydie Dattas - Amina Saïd - J osée Lapeyrère

Arfuyen - La Différence - Flammarion
30 pages, 40 FF - 108 pages, 79 FF - 124 pages, 75 FF

La chronique du campagnard Par Dominique Sampiero
Le Matricule des Anges n°7 , février 1994.