Angels in America est une pièce qui ne ressemble à rien. Et Tony Kushner un auteur qui n’a peur de rien. Ni de se montrer intelligent, ni de paraître vulgaire, ou idiot. Il y a tout et aussi n’importe quoi dans Angels in America. De Shakespeare aux Marx Brothers, de Brecht à All that Jazz, des Mormons aux mords-moi-le-nœud, du Ciel à la merde… » annonce le traducteur Gérard Wajcman. Voilà une pièce, très controversée en France, qui vous poursuit comme un cauchemar tellement elle est porteuse de destruction. Le lecteur oscille entre l’attraction et le rejet.
Alors de quoi s’agit-il ? De l’Amérique de Reagan, un monde complètement à la dérive. « Egoïstes, cupides, insensibles et aveugles. Enfants de Reagan. Vous avez peur. Moi aussi. Tout le monde a peur au pays de la liberté » confesse Louis, un jeune homme qui quitte son amoureux en phase terminale du sida. Cette maladie domine l’œuvre de Tony Kushner. « Le drame de la pièce naît du sida. Parce que le sida est l’événement qui, comme la peste d’Athènes, doit servir de révélateur des âmes et de critères d’élection et de damnation » explique François Régnault dans l’excellent dossier qu’a constitué l’Avant-Scène autour de cette pièce.
Dans Angels in America, la fin de siècle sent l’apocalypse. « Il reste quinze ans avant le second millénaire. Peut-être que le Christ va revenir. (…) Peut-être que les ennuis vont arriver, et que la fin va arriver, et que le ciel va s’effondrer et qu’il y aura des pluies épouvantables et des averses de lumières empoisonnées, ou peut-être que ma vie est vraiment belle(…) ».
Et plus profondément enfoui surgit le désir de mort de chacun. Quasiment tous les personnages masculins sont homosexuels. (« L’homosexualité est un refus de continuer le monde » dixit Jean Genet). Les femmes, elles, ont de drôles de destins, comme Harper, mariée à Jo, un Mormon qui tente désespérement de refouler son homosexualité. Complètement droguée au valium, Harper s’invente une grossesse illusoire et hallucine : « Peut-être que je vais accoucher d’un comprimé ».
Presque tous les protagonistes appartiennent au milieu de la justice. « La justice, c’est tout, c’est Dieu » dit Louis. Le personnage central de ce monde, Roy M. Coy, « la figure du mal » selon Brigitte Jaques a réellement existé (il est décédé en 1986). Cet avocat new-yorkais sans scrupule, proche de Mac Carthy puis plus tard des présidents Nixon et Reagan, aurait joué un rôle politique occulte notamment pour saboter plusieurs campagnes présidentielles démocrates et pour obtenir la condamnation à mort des époux Rosenberg.
Et face à cette figure du mal, la voix de l’ange « venu entreprendre un prodige, abolir un grand mensonge… » accompagné de revenants dignes de Shakespeare.
Angels in America est une pièce foisonnante. De nombreux destins se croisent, parfois même deux histoires parallèles se déroulent simultanément et, par le mélange de genres et de gens, l’écriture nous donne l’impression d’une chute vertigineuse et en même temps d’une grande vitalité. Une drôle de fin du monde.
Angels in America
Le Millénaire approche
Tony Kushner
texte français
de Gérard Wajcman
et Jacqueline Lichtenstein
L’Avant-Scène théâtre
94 pages, 62 FF
Théâtre Un ange de l’Apocalypse
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°10
| par
Laurence Cazaux
Publication de Le Millénaire approche (mis en scène par Brigitte Jaques), première partie d’Angels in America de Tony Kushner, prix Pulitzer 1993.
Un livre
Un ange de l’Apocalypse
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°10
, décembre 1994.