A l’exemple du texte inaugural d’Enigmatiques, les poèmes de Marie-Claire Bancquart renvoient souvent à la confusion cosmogonique, à ces temps lointains où les êtres et les choses, à peine dégagés du limon originel, flottaient encore dans une indétermination propice à des correspondances désormais oubliées entre les différents règnes de la nature, entre microcosme et macrocosme, entre terre et ciel : « Vagues ! / Leur écriture irrégulière / mord / depuis la mer / mon corps dans le miroir / bête blême nue. / Leur écume : / autour de la vie / ce contre-chant énigmatique / tumescence du sang / cœur / dieu : son absence / Une mer enfermée / qui aboie ».
Retrouver cette part de ténèbre immémoriale en soi et autour de soi ne peut dès lors qu’être une entreprise à rebours. Vers l’enfance -contrée limitrophe du Paradis perdu-, tout d’abord (« Ah, que l’amour puisse sortir d’une seconde / où je verrais les petites filles, les femmes anciennes / se retourner, me reconnaître ! »), puis vers un passé bientôt si éloigné que toutes les époques y culbutent leurs siècles : « Le furet des questions éperdument posées / du Sphinx à Œdipe, de Jésus à Pierre / bouge cette nuit dans mes mains ».
Les contours tremblent, les couleurs révèlent d’étranges irisations, les certitudes s’estompent, même les concepts les plus antagonistes paraissent victimes d’une contamination réciproque, ainsi de la vie et de la mort : « Vous êtes conviés (…) / à payer le prix / que demandent les morts pour leur silence sous la terre ».
Maintenant que la médecine moderne a réalisé le rêve des pornographes -introduire des caméras à l’intérieur même du corps- les derniers secrets de notre intimité seraient-ils évent(r)és ? Ici, l’obscure machinerie des organes recèle une vérité sans cesse différée mais sur laquelle il convient cependant de faire fond : « Travaille-toi. Sépare / les fibres de tes fibres, baratte ton sang (…) : / Touffe de veines, cellule en ruche, / tu n’es rien que ce pli et repli de circulation ramassée ».
Après notamment Votre Visage jusqu’à l’os (1983) et Opéra des limites (José Corti,1988), Marie-Claire Bancquart confirme avec ces Enigmatiques qu’elle est l’une des voix majeures de la poésie contemporaine.
Enigmatiques
Marie-Claire Bancquart
Obsidiane
11, rue Beaurepaire 89 100 Sens
64 pages, 66 FF
Poésie L’énigme du corps
septembre 1995 | Le Matricule des Anges n°13
| par
Eric Naulleau
Un livre
L’énigme du corps
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°13
, septembre 1995.