Le nouveau livre de Michel Surya, biographe de Bataille et responsable de la revue Lignes, contient la même intensité, le même désespoir que son ouvrage précédent Défiguration (éditions Fourbis).
Alors que Défiguration mettait en scène la fascination éprouvée par le narrateur vis-à-vis d’un écrivain mourant, ce texte sans re-pères géographiques, intitulé Olivet, ville-périphérique d’Orléans jamais citée, est le témoignage d’un homme face à la mort lente, voire pourrissante, de son père.
Écrit sans ponctuation -la douleur de l’auteur ne connaît pas d’interruption- Olivet est un texte éprouvant, non pour son style, soigné et précis, mais pour ce catalogue d’instants humiliants, cette répulsion incessante qui guide le récit.
La chair dans ce monde d’aigreur et de rancune n’est plus que pourrissement et dégoût quand le narrateur évoque sa mère : « je me représente mal aujourd’hui comment il fut possible qu’on me parlât si peu surtout si longtemps qu’on ne me nommât pas cherchaient-ils que leur honte n’eût pas de nom à défaut qu’elle n’eût pas de corps le corps c’est ce qu’un enfant a d’avance de trop et qu’il lui faut faire oublier comme une honte qu’il serait tout entier la honte qu’elle dut elle-même éprouver que son vieux corps mît une cinquième fois au monde à quarante-cinq ans… »
L’évocation de la mère enfantant une chair indigne, méprisée, hante aussi ce récit étourdissant, ce labyrinthe qui ne connaît d’issue que dans la mort des « vieux ». Dans ce milieu horrible, la construction de l’individu ne peut se faire. Comment grandir quand la perversion, les silences, les non-dits, et surtout une haine muette, régissent les codes familiaux ?
La lente mort du père devient alors le théâtre d’une action paralysée. Les scènes se succédent impitoyablement, et pitoyablement, jusqu’à l’insoutenable. On mesure à quel point cette vie d’adolescent sans réponse marque à jamais. À la mort -définitive ?- du père, Michel Surya écrit : « c’est moi qui déciderai désormais des silences il ne me fait plus peur elle ne me ferait plus honte je n’en ai pas pourtant pas fini ni n’en finirai jamais avec la peur ni avec la honte de ce qui me reste d’eux ». La disparition du père n’est en rien résolutoire. Pire encore : elle fonde le texte, elle est à la source de ce qu’on peut appeler ici, avec ironie, « l’inspiration ».
L’ambiguïté de ce récit réside également dans son fondement biographique ou non. S’il s’agit d’une fiction, sa force est telle que Michel Surya a su créer un univers suffocant exceptionnel. Dans le cas contraire, l’écriture peut être interrogée comme les conditions d’une délivrance, comme la recherche d’une allégeance. L’union de ces deux possibilités crée la valeur de toute littérature : imagination et expérience.
Michel Surya n’est pas encore à une libéralisation de son écriture, à un choix plus libre du sujet, du modèle. Olivet poursuit une écriture de la cruauté, où la hantise du père, l’impossibilité de s’oublier dans la vie même conditionnent une pensée qui n’est pas elle aussi sans autorité.
Ce livre sans aspérité, sans couleur, est une plaque noire excluant tout amour des choses, toute séduction. Dérangeant par sa dureté, sa droiture, sa rigidité, il témoigne de la création d’un univers littéraire douloureux et étouffant.
Olivet
Michel Surya
Fourbis
48 pages, 50 F
Domaine français La honte du père
juin 1996 | Le Matricule des Anges n°16
| par
Marc Blanchet
Avec Olivet, Michel Surya poursuit une oeuvre où les narrateurs affrontent différents facettes de l’autorité paternelle, entre cruauté et dégoût.
Un livre
La honte du père
Par
Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°16
, juin 1996.