En plaçant une citation tirée du Neveu de Wittgenstein de Thomas Bernhard en exergue de son premier roman (au côté de Kafka et Paulhan), Vincent Wackenheim place d’emblée son récit sous la figure de commandeur autrichien. Certes, il est plutôt question de l’Allemagne que de l’Autriche, mais on notera de nombreuses similitudes entre l’écrivain Arnold Köbler autour de qui tourne tout le roman et l’ermite de Salzbourg. Surtout, la phrase de Vincent Wackenheim épouse musicalement celle de Thomas Bernhard, avec ces sortes de ressassements qui viennent l’alimenter. On échappe donc, de par la mise en scène dès le début du livre de la figure de ce père littéraire, à la production d’un clone de l’Autrichien comme on en vit tant ces dernières années. Plus encore, tout le récit de ce Voyage en Allemagne joue comme une mise en scène de l’influence qu’un auteur important peut avoir sur ceux qui vont le suivre. Vincent Wackenheim, c’est le nom du narrateur, se rend à une soirée où il pense pouvoir rencontrer Arnold Köbler « pour qui j’avais alors une très grande admiration, c’est-à-dire beaucoup plus d’admiration que je n’en aurais par la suite, sans qu’il me soit possible d’expliquer cela, et bien que ce soit une des choses auxquelles j’aie le plus réfléchi après mon retour d’Allemagne. ». L’homme auquel il s’adresse, qu’il croit être Köbler, n’est en fait que Sponde, son traducteur en France. Un être aigri qui consacre sa vie à traduire l’écrivain allemand qu’il hait pour cela, d’autant plus que Sponde aimerait se consacrer à une thèse sur la dormition. À la mort de la Vierge donc, évoquée par Sponde, succède bientôt dans la chronologie du livre celle de Köbler lui-même que ni le narrateur ni le traducteur n’auront finalement rencontré. La figure du père se change en sorte de Godot et l’entreprise de démolition engagée par Sponde va se poursuivre avec Anna, la fille de l’écrivain que Vincent retrouve en Allemagne lors de ce voyage qu’il effectue pour se rendre à une « réunion » autour de Köbler à laquelle finalement il renoncera. L’errance du narrateur encourage sa conscience à ces questions sans réponse et parfois sans intérêt qu’il s’adresse incessamment. Ce n’est plus qu’un mécanisme qui enchaîne finalement les phrases du roman, une logique de poupée russe propre à susciter l’insomnie qui donne au narrateur l’apparence d’un individu sous hypnose. Ou sous influence.
Thierry Guichard
Le Voyage en Allemagne
Vincent Wackenheim
Deyrolle
168 pages, 98 FF
Domaine français Un homme sous influence
septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17
| par
Thierry Guichard
Un livre
Un homme sous influence
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°17
, septembre 1996.