Grâce aux rééditions proposées à partir de 1982 par les Cahiers du Double, Calligramme ou le Temps qu’il fait, André de Richaud est sorti de la salle d’attente où patientent les écrivains des années trente. L’engouement soutenu par Grasset qui époussète progressivement son fonds et la parution du Cahier André de Richaud dirigé par Patrick Cloux (le Temps qu’il fait, 1986) tient autant aux mérites de l’œuvre qu’à la figure de maudit que s’est constituée de Richaud à son corps défendant.
Né en 1909 à Perpignan, il suit des études de droit et de philosophie. Il sera professeur à Meaux et à Paris. Il rencontre Pierre Seghers sur les bancs de l’école et Joseph Delteil après lui avoir consacré un essai. À vingt-et-un ans, il se fait un nom avec son premier roman La Douleur (1930). C’est le récit de la disparition de son père dans la tourmente de 1914, de la perte d’une mère devenue la maîtresse d’un prisonnier allemand. Âpre, cette vie s’engage mal. Malgré de bons moments et les succès parisiens de ses pièces de théâtre, l’alcool et la solitude lui brûlent les ailes. Sa vie finit à Vallauris en 1968 dans un asile de vieillards où l’enfant prodige s’est réfugié en trichant sur son âge.
Reste une œuvre impressionnante d’introspection et de magie. Ses romans qui appartiennent au versant sombre de l’autobiographie ou à la veine fantastique déchaînent leurs personnages écrasés de solitude, envahis par les idées morbides. La Fontaine des Lunatiques (1932) ressort de ce fantastique psychologique auquel préside la lune « légère comme un écureuil d’argent ». Dans une masure isolée, un père fou de musique vit sans y prendre garde aux côtés de son fils jusqu’à ce que la mort du grand-père déclenche un face-à-face. Le père ne supporte plus le fils. Il devine son envie de découvrir le monde et l’engage sans mot dire au voyage. Un voyage sans but comme celui qu’entreprend le vagabond André de Richaud en 1942. Sorte de Pays où l’on n’arrive jamais provençal, ce livre halluciné superpose à toute chose un double nocturne. Entre chien et loup, il reflète les deux faces du poète de Droit d’asile : le contemplatif qui « danse à l’ombre de Pétrarque » et l’introspectif du Délire de l’enchanteur, habitant d’un monde tragique où coulent « les ruisseaux de la mort ».
Le Droit d’asile que réclamait de Richaud en 1954 était peut-être celui de vivre parmi les hommes, de vivre de sa littérature. Isolé, conscient de sa déchéance, il réclame assistance : « Déjà plus qu’à moitié noyé dans les langages obscurs des hommes/ Déjà couvert des traces chantantes de tous les vents du monde./ Déjà le corps tordu par les vagues rongées de la mort/ Déjà enseveli entre deux tempêtes de songe/ Déjà écartelé au bout d’un escalier de brûlures/ Déjà piétiné par les douleurs des abîmes foudroyés/ Déjà déjà déjà. » Composé de café en café, le recueil comprend deux séries de textes écrits de 1925 à 1930 et de 1943 à 1953 auxquels s’ajoutent quelques poèmes dispersés. Livre d’un « Ange brûlé, couronné d’étincelles », Le Droit d’asile évoque les amours, la nature et la mort. On y appelle les souvenirs (« Platanes ! Que vous étiez beaux rêvant sur mes jeunes années »), on les renvoie (« Souvenir ! Souvenir ! Écarte ton visage/ des tristes pierres du chemin ») tandis que « la Chanson de mort », un poème admirable, trône dans les décombres.
Pour avoir une idée plus complète de son grand talent, il faudra lire le théâtre d’André de Richaud (Le Secret, Les Reliques, Le Roi clos). Car à toujours revenir où on ne l’attend pas, il pourrait bien nous surprendre. Prenons un peu d’avance.
Éric Dussert
André de Richaud
Le Droit d’asile - Poèmes éparsL’Éther Vague
124 pages, 110 FF
La Fontaine des Lunatiques
Le Passeur
192 pages, 79 FF
Poésie En attendant Richaud
septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17
| par
Éric Dussert
Brûlé auc premières lueurs du succès, André de Richaud a laissé une oeuvre protéïforme à redécouvrir. Après les romans, voici sa poésie.
Des livres
En attendant Richaud
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°17
, septembre 1996.