Le discours dominant du moment voudrait que le seul roman policier puisse encore faire office de littérature. Lorsqu’on choisit d’opérer la transmutation du monde en mots, la tentation est devenue forte de choisir la panoplie du flic ou de l’assassin pour glisser sous la surface des choses un œil indiscret. Les auteurs qui suivent d’autres pistes que celles du polar ou de l’autobiographie prennent le risque de passer inaperçus.
Le Belge Xavier Hanotte qui avait déjà souscrit à la Manière noire (Belfond, 1995) installe son nouveau roman à Bruxelles dans les locaux de la Police judiciaire où vivote une brigade sans brio. Seul l’inspecteur Barthélémy Dussert garde l’œil ouvert et le bon. A la suite du décès d’un S.D.F. et du meurtre d’un historien révisionniste, le policier entame une enquête qui le conduit dans les cimetières militaires qu’il affectionne et dont la Belgique regorge. Lancé -mollement- sur une piste, il entreprend de nommer les absents : les deux macchabées, les victimes de la déportation et celles, moins innocentes, de la Première Guerre mondiale.
Parmi ces dernières, il est un mort auquel Dussert est étroitement lié. C’est le poète anglais Wilfred Owen tué en 1918 dont le flic traduit les War Poems à ces moments perdus. Déjà présent dans Manière noire, cet homme a existé et écrit l’essentiel de son œuvre dans les tranchées boueuses de Belgique. C’est pour lui comme pour les soldats anonymes qu’Hanotte construit cette nécropole. D’ailleurs, le livre prend son envol au moment où, entrecoupant son récit plein de méandres, il imagine les derniers instants des défunts oubliés. Puisque les mots tuent la mort, Hanotte tend à Wilfred Owen un rôle de fantôme réussi et monte des brumes qui donnent au roman un charme bien flamand.
De secrètes injustices
Xavier Hanotte
Belfond
468 pages, 135 FF
Domaine français Les soldats disparus
juin 1998 | Le Matricule des Anges n°23
| par
Éric Dussert
Un livre
Les soldats disparus
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°23
, juin 1998.