Compagnon du surréalisme tchèque, Petr Král passa toute sa jeunesse en Tchécoslovaquie, dans les faubourgs de Prague, près du vélodrome, y fit des études de cinéma avant de rejoindre Paris en 1968. Il profita de l’entrée des chars russes au cœur de la Bohême pour s’installer définitivement en France. Petr Král emprunte alors le français comme une nouvelle dégaine, tout en gardant de son bel accent tchèque cette façon de rouler les r à l’intérieur d’un timbre sec. L’homme a la cinquantaine passée, mais n’a pourtant pas d’âge. Son élégance, légèrement négligée, parle en lui d’un temps où les oncles lointains réapparaissaient du fin fond de leur Sibérie, ruinés mais avec une prestance et une allure uniques. Král est un homme de cette sorte, au visage saillant, qui parle sans emportement, dit les choses franchement, avec un tact invisible.
C’est dans l’une des petites impasses perpendiculaires au boulevard de Clichy qu’il nous a reçus, entre les bibliothèques multiples, le bureau encombré et des rangées de disques vinyl. Petr Král nous parla de ses pérégrinations, des villes qu’il n’a cessé d’arpenter : pour simplement y passer, dit-il, pas pour la gloire de quelques coupoles, mais pour y voir des mains battre des cartes au coin d’une rue, pour des serviettes en boule au fond d’un restaurant, ces fantômes de bouches et de visages.
Auteur d’études chez Stock sur le burlesque, traducteur du tchèque (La Poésie tchèque moderne, Belin, 1990), essayiste, Petr Král est également poète. Une pratique de l’écriture qu’il nommerait volontiers le dernier métier sans gloire d’un monde en fuite. Ces livres-là vous conduisent pourtant dans les détails ruisselants du monde, papiers gras, rouge qui coule au coin d’une lèvre, chaussure de femme perdue et renversée dans une chambre, etc., dans une sorte d’embrassement large du temps, dans ce qui traîne avant de disparaître. C’est son droit au gris, selon le titre de l’un de ses livres, un droit aux choses dépourvues d’intérêt, au rien, au vide presque, un droit qu’il dessine dans des récits fragmentés : une sorte de sentiment de s’être égaré en retrouvant son quartier, qui laisse bras ballants, là, devant « ce doux effondrement, alentour… », devant « tous ces murmures d’oubli/où lentement se noie jusqu’à ton étonnement face au soudain départ de la petite femme solide,/fugitive soudain comme si elle n’eût jamais/été- ».
Conduite en six longues parties, son nouveau livre, La Vie privée, pousse à son apogée l’utilisation de la narration et de l’anecdote dans le poème : la terrasse d’un café, le détour d’un visage et cette silhouette au bout d’une rue qu’on dirait plombée d’ombre. Au détail du monde s’ajoute le pli réflexif sur le temps. Král fait place au sentiment métaphysique, à la façon d’un impressionniste, d’un spectateur qui préfère l’image-temps à l’arrêt sur image.
Petr Král, lorsque vous arrivez en France en 1968, quels sont alors vos rapports avec la culture et la langue...
Entretiens Détours par l’antichambre de Petr Kral
En trente ans d’écriture, ce poète tchèque de langue française, admirateur de Keaton, n’a cessé d’être un passant discret mais sûr, émerveillé par un réel sans gloire et la trame grise du monde. Publication de La Vie privée, livre de l’inappartenance.