Les romans sur l’enfance jouent souvent le rôle salvateur d’exutoire, sortant les cadavres du placard, pour mieux les enterrer ensuite. Le Vert-Clos n’est pas de ceux-là. La démarche de Frédéric Valabrègue est même aux antipodes : « J’ai toujours pensé que mon travail d’écriture consistait à rafraîchir les tombes à faire d’elles mon jardin ouvrier ». Aussi ce récit cultive-t-il les souvenirs tels qu’ils poussent sur le terreau de la mémoire, plantes rampantes, vénéneuses, gorgées de suc et de soleil. Raconter l’enfance n’est pas simple. Car la réminiscence ne peut être linéaire. Ainsi sera le texte, dénué de chronologie : « Personne ne pourra jamais faire d’un âge quelque chose de fini, de bouclé, d’achevé. Les gens n’évoluent pas. Ils accumulent. (…) Même larvée mon enfance continue à s’étendre. Elle n’est derrière ni devant moi. Elle ne finit pas ». Avec une écriture d’une force et d’une beauté vertigineuses, Valabrègue nous raconte ses parents, leur violente déchirure au domaine du Vert-Clos, la peur, l’abandon, vécus avec ses deux frères. La honte et les secrets de famille qui font que l’enfance n’est pas le temps de l’innocence. Mais celui du non-dit, de « la parole interdite ». Les enfants ne sont pas candides. La naïveté leur est étrangère. C’est « pour faire plaisir aux adultes » qu’ils la feignent. Ils n’ont pas la faculté d’analyse, mais celle du savoir immédiat. Les adultes aiment les réduire à « un seul nom générique ». Mais cette entité tricéphale perçoit le moindre signe émanant des adultes. « Nous avons la connaissance du désir et de l’amour. Nous sentons les gens qui s’attirent ». Victimes ballottées par le séisme d’un adultère qu’ils ont pourtant décelé, les garçons décident d’en finir avec leur statut. « Ne plus être enfants, cela veut dire ne plus être blousés ». Aussi « abdiqu(ent-ils) l’enfance sans aucun chagrin et sans même savoir que d’aucuns lui accordent un prix ». C’est avec un brio indiscutable que Frédéric Valabrèg
Le Vert-Clos
Frédéric Valabrègue
P.O.L
203 pages, 89 FF
Domaine français Les boucles de l’enfance
septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24
| par
Hubert Delobette
Un livre
Les boucles de l’enfance
Par
Hubert Delobette
Le Matricule des Anges n°24
, septembre 1998.