Après avoir passé des mois terré dans un studio étroit de la capitale, un homme en devenir entame deux programmes distincts : le PAM (« programme autonome d’autoMusculation ») et le PAT (« programme autonome d’autoEducaTion »). Les deux parties de cette tentative de mouvement ont en commun d’utiliser la machine à écrire, devenant tour à tour haltère ou instrument de création.
Il finit par être embauché comme veilleur de nuit à l’hôtel de la Méduse, établissement borgne d’une rue vouée à tous les commerces de nuit. La vitre large derrière laquelle il s’assoit va lui permettre d’entamer la quête de son identité. Le lieu et ses occupants se chargeront de faire l’éducation de l’anti-héros de Vincent Eggericx.
Peu à peu, l’hôtel déteint sur le jeune homme : « Ce n’est qu’au fil de mon installation à l’hôtel que je découvris la population hétérogène qui y logeait et que j’appris à l’observer, en entomologiste scrupuleux, avant d’être finalement englouti en son sein et d’en devenir moi aussi un des pensionnaires, passant de l’état d’observateur d’insectes curieux à celui d’insecte curieux. » A mi-chemin du foyer de jeunes travailleurs (au chômage) et de l’hôtel de passe, la Méduse resserre progressivement son étau. Eggericx travaille avec soin son personnage éponge. Il nous le livre sans relief, en raison de l’échec relatif du PAM.
Dans le « grenier à nains » que lui loue Constantini, le patron de l’hôtel, le veilleur fait également plusieurs essais littéraires, ultimes résurgences du PAT : « …j’installais la machine à écrire et suspendais mon doigt au-dessus. Je restais ainsi deux bonnes heures, presque immobile ; de temps à autre mon bras se détendait brusquement, sous l’effet de l’engourdissement, ou de la nervosité. Mon doigt venait percuter une touche au hasard. Cela donnait des textes extrêmement concis, de brefs poèmes : « $ », écrivais-je par exemple, ou encore « ez », et « oj » ; mais la plupart du temps, la feuille restait désespérément blanche. »
Par sa position, le veilleur de nuit est un passage obligé pour les pensionnaires de l’hôtel. Ils viennent tous à lui, se l’approprient parfois avec succès. Monsieur Garcia, véritable « messie », tombé là par hasard, tentera de lui faire prendre plus de consistance en le traînant au restaurant : « Comme je lui parlais de ma constitution chétive et de mon tempérament phtisique, qui transformait les graisses en nerfs, il balaya mes objections d’un grand geste de la main. »
Vincent Eggericx transgresse le mécanisme du roman d’apprentissage et fait de son héros un simple réceptacle. Au fil des pages, le veilleur accumule et devient le miroir du climat en place. L’idéal en somme, pour décrire en détail la vie d’un lieu et dégager la force comique d’une situation désastreuse. Le résultat : un texte énergique sur cette nonchalance qui semble planer sur la fin du vingtième siècle. Car la plus grande qualité de L’Hôtel de la Méduse est sans doute de nous présenter une panoplie complète de paumés. L’humour ne quitte jamais la page mais l’ensemble finit par virer au noir et à l’impasse.
L’Hôtel de la Méduse
Vincent Eggericx
Verticales
208 pages, 125 FF
Premiers romans Naufragés de la méduse
septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24
| par
Benoît Broyart
A 27 ans, Vincent Eggericx livre un texte drôle et inquiétant. Il consacre son premier roman à notre molle fin de siècle. Entre humour et impasse.
Un livre
Naufragés de la méduse
Par
Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°24
, septembre 1998.