L' Ile du droit à la caresse
Mots-valises et néologismes en cascade : le texte de Daniel Mermet (brillant homme de radio) embarrassera les parents en quête de rationalité. Qu’on imagine un peu : nous sommes à Trébizonde bien connue pour sa « plage bleue » où felouquent « les grandes coquelourdes flexueuses » lorsqu’arrive, débarquée d’on ne sait où, La Belle Lurette aux charmes redoutables. Il est vrai qu’avec ses « 3452 plumes et sa boîte d’alloufs », elle en jette un max. Notre narrateur sait qu’il va succomber au charme et tente d’y échapper, quelques secondes. Mais la belle est tombée en panne de confettis et passe la nuit sur Trébizonde, l’île du droit à la caresse. Nul arbre à confettis assez fourni pour lui permettre de repartir. La Belle Lurette va donc découper les pages du seul livre disponible : le dictionnaire. Elle a beau être belle, voilà qui est trop et le matin venu, notre narrateur donne des signes de colère. La Belle Lurette, c’est promis, refera le dico. A sa façon. « Tout le monde s’est pris au jeu. Tous les jours, on inventait des mots nouveaux, après on inventait ce que cela voulait dire. » Jeu génial et charmant. Mais qui ne convient guère aux « ortograves » qui sont un peu « institutosaures, gagadémiciens, chipiatres curetons ». On l’a compris : ce diable de Mermet invite à la fantaisie du vocabulaire, à la révolution des mots. Il met les règles de l’orthographe (donc l’ordre) au piquet.
Complice dans cette tentative de libération des énergies, Henri Galeron prête son talent d’illustrateur (entre surréalisme façon Magritte et école américaine) aux mots inventés par Mermet. Le choc visuel attend le lecteur à chaque page sans pour autant que les images n’épuisent la polysémie du texte. Ainsi, si nous voyons tous un volatile dans La Belle Lurette, difficile de lui donner un autre nom que… Belle Lurette.
Bref, c’est un livre joyeusement irrévérencieux et, donc, sérieusement nécessaire.
L’Ile du droit à la caresse
Daniel Mermet
Henri Galeron
Harlin Quist
non paginé, 89 FF